- Fluctuat
Il est difficile de parler des films de Coline Serreau, sans dire qu'à travers chacun d'eux transparaît une belle sincérité. Peut-être maladroite, mais entière et impérieuse, de celle qui dénonce avec l'envie de changer le monde.
De Trois Hommes et un Couffin à La Crise la réalisatrice regarde les gens avec le désir de les rendre plus heureux en montrant leurs ratés aussi bien sentimentaux, professionnels que politiques. A travers l'exploration de l'Humain dénominateur commun de tous ces champs d'investigation, elle dissèque les petites misères et c'est avant tout pour ce savoir-faire qu'on aime bien ses films. Chaos ne déroge pas à la règle. On a pourtant l'impression qu'elle a voulu dire trop de choses dans ce film. A vouloir traiter de trop nombreux problèmes de société, il en perd un peu de son vitriol. Les critiques deviennent moins grinçantes et du coup moins prégnantes, l'histoire certes peu banale l'emporte au détriment du propos.Le film commence sur la musique de Saint-Germain qui scande "I want you to get together", "je veux que vous vous retrouviez". A l'image, la valse d'un couple qui habite sous le même toit sans se voir. Hélène et Paul vivent à côté l'un de l'autre pris dans leur tourbillon quotidien, ils vivent en mode automatique. Ils courent toute la journée cherchant toujours à rattraper leurs cinq minutes en retard. Catherine Frot et Vincent Lindon, très activement passifs, inspirent tout le tragi-comique de cette situation. Ici on regarde sans regarder, on boit sans boire, on parle sans parler, on s'aime sans s'aimer. Aussi se tournent-ils le dos sans même s'en apercevoir, égoïstes jusqu'à ne pas avoir le temps de voir leurs proches : Mamie comme chaque année monte à Paris apporter de l'huile de noix comme cadeau d'anniversaire à son fils Paul. Elle ira dormir dans une chambre d'hôtel et repartira après s'être faite cruellement ignorée. Peu étonnant alors que ce couple bourgeois commette un acte de non-assistance à personne en danger. Une jeune fille se fera massacrer sous leurs yeux par une bande de voyous. Elle mettra plein de sang sur leur voiture alors qu'ils se rendaient en ville : très embêtant d'aller laver la voiture alors qu'on n'est pas en avance. Les chiens ne font pas des chats, tel père tel fils, la grand-mère comme la mère. Scène suivante, Hélène va rendre visite à son fils qui lui fait dire qu'il est absent. Le cercle vicieux est bouclé mais le grain de sable est dans la mécanique et ne pourra pas y être intégré sans que ce monde change.Attirée par le poids de sa responsabilité - de sa culpabilité - Hélène se soucie de Malika au point de mettre sa vie entre parenthèse. A force de visite et d'attention, elle l'aidera à sortir de son coma et de sa paralysie. Elle découvrira le passé de la jeune femme qu'elle a laissée ensanglantée sur le macadam entre la vie et la mort. Et là le film change de ton, comme si, voulant conserver une légèreté dans la dénonciation, Coline Serreau s'armait d'un comique tout autre. De l'intimité, elle passe au polar effréné. Comme si elle ne faisait pas confiance à son sujet, elle rajoute une histoire de gangsters et s'attaque à la dénonciation de la prostitution à travers le personnage de Malika. On entre alors dans un flash-back long et lourd, où le dialogue sonne parfois faux. Ainsi on sourira - d'un oeil d'autant plus rétif que le dialogue était jusque là parsemé de petites phrases plutôt justes et bien senties - quand on entendra que la prostituée, ex-camée s'en sort parce qu'elle s'est soudain "intéressée à la finance". Qu'elle joue en bourse et gagne, pourquoi pas, mais que la lecture de La Vie Française l'amène à devenir une grande experte, c'est un peu gros. De même, si l'on applaudit la réalisatrice lorsqu'elle s'attaque aux conditions des femmes françaises subissant au sein de notre société l'intégrisme musulman, on est peiné que cet énième thème abordé ici, nous éloigne des propos premiers. Si l'envie première était de s'intéresser à la résurrection, pourquoi alors s'embarrasser de tant de fioritures alors que toutes les situations présentes amènent déjà à ce thème ? Quoiqu'on en pense, ce film semble ces jours-ci provoquer débat. Pas autour de l'image DV ni de l'architecture du scénario mais autour de problèmes sociaux - ce qui est très courant dans les films de Serreau, mais pas si mal pour un film chaotique. Ainsi comme tant d'autres nous saluerons les prestations des acteurs (vraiment) et nous ne parlerons pas de l'image lisse, qui se contente d'être une lucarne sans opinion sur le monde de ce scénario. Dommage ?Chaos
Réalisation : Coline Serreau
Avec : Catherine Frot (Hélène) - Rachida Brakni (Malika) - Vincent Lindon (Paul) - Line Renaud (Mamie)
Sortie officielle le 3 octobre 2001
- Le site du film