L'ode à l'acceptation de Netflix touche à sa fin. Annulée puis ressuscitée, encensée et adulée, Sense8 restera comme une série unique, l'une des plus marquantes de la plateforme.
Au cœur du vieux Naples, devant l'entrée du splendide Palazzo Marigliano, une impressionnante foule se presse, avec excitation. Mais ce ne sont pas des touristes. Non, ce sont bien des locaux, des Napolitains, lycéens ou étudiants pour la plupart, qui tentent d'apercevoir Riley, Nomi, Wolfgang ou Kala, les héros de Sense8. C'est là, dans le sud de l'Italie, que la série de Netflix a posé ses valises, quelques jours, le temps de filmer un ou deux scènes majeures de son grand épisode final. "C'est en voyageant dans le monde, qu'on se rend compte de la popularité de la série. Du nombre incroyable de fans qui attendent des heures aux abords du plateau", confie dans un grand sourire l'actrice Tuppence Middleton (Riley), rencontrée sur le tournage. "On ne peut pas s'attendre à un truc pareil. C'est juste dingue l'engouement que génère Sense8".
Un engouement qui a permis à la série d'être sauvée des eaux. Sacrifiée par Netflix, il y a un an, à la surprise générale, faute d'audience massive, elle a finalement été ressuscitée pour un téléfilm final de deux heures, qui sortira donc le 8 juin prochain. "On n'avait pas la moindre idée que la série pourrait être ainsi supprimée. Sinon, la saison 2 ne se serait pas terminée comme ça", lance Jamie Clayton, qui incarne Nomi. Les fans, fidèles et actifs, ont poussé comme rarement, sur les réseaux sociaux. Et ils ont réussi à avoir gain de cause. "Ce genre de truc, ça n'arrive jamais normalement", reprend Tuppence Middleton.
C'est vrai. Mais Sense8 n'est pas une série tout à fait normale. Rien que pour ce dernier épisode, ce ne sont pas moins de quatre pays qui ont été visités par l'équipe. De Berlin à Bruxelles, en passant par Paris et donc Naples, c'est une troupe de 60 personnes qui a ainsi sauté d'un lieu de tournage à un autre. Tout ça en moins de six semaines ! "On est un peu une comme une compagnie de saltimbanques qui trimbale son show de ville en ville", rigole Toby Onwumere, qui a repris le rôle de Capheus avant la saison 2. "Parce que ça change tout de tourner sur place, de ne pas utiliser de CGI", poursuit Terrence Mann (Whispers). "On a l'impression d'être vraiment là-bas, quand on regarde sa télé. Le spectateur a cette sensation d'être immergé dans cette culture étrangère. Lana (Wachowski) ne voulait pas nous filmer devant un écran vert. Elle voulait qu'on soit dans les vrais endroits, avec les vraies lumières, des choses impossibles à recréer numériquement."
Un luxe nécessaire que Sense8 a pu s'offrir avec son budget massif de 10 millions de dollars, mais qui implique aussi une organisation quasi-militaire : "On filme 11 pages par jour pour ce final, alors que généralement, c'est 3 ou 4 pages/jour pour une série normale", souffle Brian J. Smith (Will), impressionné par la « méthode Sense8 » : "En fait, ils ont complètement revu la façon de faire un show, tout le processus de production. Chacun fait son job différemment ici... Je crois que l'industrie devrait sérieusement se pencher sur la manière dont Sense8 est fait. C'est vraiment, à mon sens, ce qu'il y a de plus remarquable dans ce programme. Ce n'est juste pas une série normale."
Un objet télévisuel un peu à part, qui demande aussi beaucoup à ses acteurs, astreints d'incarner un seul et 8 personnages à la fois. "Parfois on est un peu perdu sur le tournage. Notamment avec la mythologie des « Sensates ». On ne sait plus trop qui est en mesure de voir qui, qui est vraiment là ou pas...", s'amuse Tuppence Middleton, avant de détailler comment sont tournées ces séquences tellement emblématiques de la série, où les héros investissent tour à tour le corps d'un membre du « cercle ». Une mise en scène assez unique "qui ne demande pas vraiment d'effets spéciaux. Globalement, il s'agit juste de se baisser au bon moment... De laisser la place à l'autre acteur en une seconde, pour qu'il reprenne la position et se mette dans la peau du personnage. C'est une sorte de chorégraphie, une petite danse..."
Jamie Clayton raconte ainsi "cette scène de la saison 1, qui résume exactement comment ça marche : Riley est assise sur un banc et discute avec Amanita (Freema Agyeman). La caméra tourne autour du banc et là, un assistant attrape Tuppence (Middleton) et la tire pour la sortir du champ. Et tout de suite après, je saute sur le banc pour prendre la place et la scène continue... C'est vraiment une chorégraphie à exécuter. Ça rajoute quelque chose à Sense8. On préfère ça, plutôt que de couper, reprendre... Cela rend les séquences plus fluides".
Tout est un peu singulier dans la façon dont Sense8 se fabrique. Une drôle de tambouille maison, qui donne à la série sa saveur indescriptible. Un ton optimiste rare, une façon de voir l'humanité, que résume ainsi Michael Sommers (Bug) : "Aujourd'hui, partout dans le monde, dans chaque pays et notamment le mien, les États-Unis, on s'efforce d'exclure les autres. Sense8 prône l'inverse. Plus encore, la série suggère qu'on peut gagner, qu'il faut se battre. Et en ça, c'est une série très politique..."
En tout cas, une série à la sensibilité humaniste pleinement assumée, qui parle d'acceptation comme aucune autre : "Je crois qu'il faudrait plus de séries comme ça !", insiste Terrence Mann. "Au moins une fois par mois, il y a quelque qu'un qui m'arrête dans la rue pour me dire que Sense8 a changé sa vie. Des gens qui comprennent mieux qui il sont, grâce à la série. Des gens à qui la série a donné un sentiment d'appartenance !"
Une philosophie forcément partagée par l'actrice transgenre Jaime Clayton, qui joue un personnage transgenre à l'écran. Selon elle, là se trouve l'héritage intemporel du show : "On a donné aux gens une idée de ce que ça voulait dire d'être représenté à l'écran. Un feeling que bon nombre de minorités n'avaient jamais ressenti auparavant. Et je crois que le temps ne pourra jamais effacer ça. Dans 5 ans, 10 ans ou 30 ans, les gens pourront toujours regarder Sense8 et se reconnaître dans ses personnages, y voir leur frère, leur meilleure amie, leur voisin. Ça, ça restera."
Sense8 - épisode final - De Lana Wachowski. Le 8 juin 2018 sur Netflix.
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