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Alors que Victoria vient de récolter 4 nominations aux César (dont meilleur film et meilleure actrice), on republie notre rencontre avec l'actrice du film de Justine Triet.

Film de la maturité, accueilli en fanfare à Cannes, Victoria rassemble public et critique autour du cas Virginie Efira. Toute en rondeurs et en subtilité, la star belge confirme qu’elle est à la fois un passionnant corps de cinéma et une actrice de premier plan.

C’était le secret le mieux gardé du cinéma français (francophone, pour être précis) : à l’ombre de ses romcoms plus ou moins formatées, Virginie Efira s’épanouissait et prenait une envergure insoupçonnée. Bourreau de travail, ambitieuse, celle qui interprétait une cougar malgré elle dans 20 ans d’écart a fini par trouver le rôle de sa vie en incarnant une avocate dépressive dans Victoria, le nouveau film de Justine Triet.

La réalisatrice de La Bataille de Solférino est non seulement la première à écrire pour Efira un personnage sur mesure (la quadra qui remet sa carrière et sa vie en question) mais elle est aussi la première à la filmer amoureusement : l’actrice belge est enfin regardée comme une belle femme en pleine possession de ses moyens (physiques, intellectuels, émotionnels) et non plus comme un objet de fantasme rabaissé au rang de girl next door accessible à tous. Simple gimmick traité de manière un peu vulgaire, son physique pulpeux, éloigné des canons en vigueur, devient aujourd’hui un véritable enjeu de cinéma. Qu’en pense l’intéressée ?

PREMIÈRE : À Cannes, vous défendiez deux films : Elle et Victoria. Dans le premier, vous êtes au second plan et asexuée, dans le second, vous êtes tête d’affiche et très en « formes ». Mais quoi que vous jouiez, et sans doute malgré vous, la question du corps se pose dès qu’il s’agit d’évoquer vos rôles…
VIRGINIE EFIRA : N’est-ce pas le propre de toutes les comédiennes ? Je ne suis pas gracile, mais je ne suis pas hors normes non plus.

Ça vous agace qu’on en parle ? 
Pas du tout. C’était un problème quand j’étais jeune. Je considérais que ce qui était intéressant ne devait pas être visible. Charlotte Gainsbourg, c’était intéressant, c’était moins « offert » que moi. Après, au lieu de nier qui j’étais, je suis passée par une forme d’acceptation, avec l’idée de faire quelque chose de ce corps qui n’est ni mieux ni pire qu’un autre. Du coup, je me suis mise à aimer les femmes plus robustes. Pourquoi n’y aurait-il qu’un type de comédiennes qui, avec un peu de rouge aux joues, donnent l’impression qu’elles risquent de s’évanouir à tout moment ? Pourquoi la vulnérabilité passerait- elle forcément par un physique fragile ?

Justine Triet : "Virginie Efira incarne un fantasme masculin"

À quel point ce corps a-t-il été encombrant à vos débuts d’actrice ?
Quand tu vois peu d’exemples comme le tien, soit tu te résignes, soit tu avances. C’est un peu comme le débat autour de ma légitimité d’actrice, alors que je viens de la télé : à un moment, il faut cesser d’attendre des encouragements qui ne viendront pas... Le corps, on peut le modeler. Dans mon premier film, Le Siffleur, je jouais une jeune femme qui passait son temps en bikini au bord d’une piscine. J’ai donc fait en sorte d’avoir un physique qui corresponde au personnage.

Dans le cinéma français, on a du mal à considérer le corps comme un outil de travail.
Ça tient peut-être à mon côté belge, assez concret, pragmatique. Pour donner une image, Jacques Brel met les  deux pieds dans le sentiment tandis que Léo Ferré reste à distance... Pourtant, tous deux sont de grands poètes. Le problème vient peut-être aussi des réalisateurs, de leur regard, de leurs intentions. Dans Victoria, j’aime bien la façon dont Justine filme mon dos, qui n’est pas forcément très féminin. Il s’en dégage une certaine vulnérabilité qui découle du contraste entre la force et la rondeur. Encore fallait-il le voir et le valoriser.

Avez-vous l’impression d’être seule dans votre catégorie ?
Je suis une des mieux nourries, c’est sûr ! (Rire.)

Ce n’est pas ce que je voulais dire. On vous colle bizarrement toujours des partenaires qui paraissent plus petits, plus contraints, jusqu’à Jean Dujardin transformé en nain dans Un homme à la hauteur...
Oui, c’est vrai ! Je me souviens de la scène d’amour dans 20 ans d’écart avec Pierre Niney, qui est un garçon physiquement très fin. Je me disais : « Mon Dieu, mon grand corps avec le sien, ça ne va pas aller ! » J’essayais de trouver la meilleure position pour ne pas étouffer ce pauvre enfant. Du coup, je regardais au combo ce que ça donnait, j’étais anxieuse. Finalement, le contraste donne quelque chose d’assez joli.

Cela ne dénote-t-il pas un manque d’imagination de la part des réalisateurs de vous imaginer en mante religieuse ?
Je ne crois pas. J’ai, au contraire, parfois pu être frustrée que mon physique ne soit pas davantage exploité. Dans Une famille à louer, j’aurais aimé que cette fille un peu vulgaire – que je connais bien : moi aussi, j’ai porté des chaînes aux chevilles et des minijupes très, très mini – soit plus sexualisée. Mais dans une comédie romantique, on ne doit pas en faire trop. Sexy et sympa, oui, coquine, non...

C’est marrant que ce soit une frustration.
Sur Le Siffleur, les gens prenaient des gants. Ils craignaient que je trouve ça dégradant de me balader à moitié à poil pendant tout le film. Mais moi qui avais fait des efforts pour être un peu gaulée, je voulais aller encore plus loin ! J’ai suffisamment confiance en moi pour ne pas me sentir avilie par ce genre de choses.

Que vaut Victoria de Justine Triet ?

L’acteur français n’aime pas être trop catalogué dans un emploi. Et vous ?
Quand ça résiste, quand les choses ne vont pas forcément dans votre sens, il faut l’accepter. J’ai bien senti à un moment qu’on voulait m’enfermer dans un genre de rôle. J’en ai pris mon parti en me disant qu’il n’était pas si dégueulasse, cet emploi, du moment que je n’avais pas seulement deux adjectifs à mon vocabulaire. Il ne faut pas baisser les bras pour autant. Malgré mes formes, je n’ai jamais pensé être perdue pour le drame, qui n’est pas l’apanage d’un certain type de physique. Ou alors, ce serait tragique pour la diversité.

Ce corps qui devient un enjeu de cinéma...
(Elle coupe.) Je vais hyper me la péter après cette interview.

Ce corps, donc, qui devient un enjeu de cinéma, j’imagine qu’il est l’objet de toutes les attentions sur le plateau. Concrètement, comment avez-vous travaillé avec Justine Triet ?
Justine a des idées bien arrêtées mais c’était une véritable collaboration. Je lui ai suggéré des noms pour la costumière dont elle a tenu compte, par exemple. J’ai même apporté la robe dorée que j’avais achetée quand j’étais enceinte et que je m’étais promis de mettre après avoir retrouvé une taille acceptable. Je me suis dit que cette robe disco, avec son dos nu, pouvait raconter quelque chose du personnage. Quand Victoria la porte, ça lui donne un côté maladroit et attachant. On sent qu’elle est sombre à l’intérieur et qu’elle veut briller à l’extérieur. De son côté, Justine me poussait vers moins de sophistication. Elle a insisté pour que mes cheveux soient un peu négligés, mal coiffés. Avant de tourner, elle m’a demandé de regarder Opening Night. Gena Rowlands – qui n’était pas une brindille non plus – y montre une espèce de courage physique qu’elle voulait pour le personnage. Inutile de vous dire qu’elle ne m’a pas conseillé de perdre du poids comme je l’avais envisagé dans un premier temps.

S’agissant de la lumière, du cadre, avez-vous des exigences particulières ?
Je mentirais si je disais non. J’en ai beaucoup en début de tournage, puis j’oublie. À la fin, le chef opérateur m’a rappelé une réflexion que je lui avais faite : « Je te préviens, si tu mets ta caméra là, eh bien, je jouerai tout de profil. » La chieuse ! (Rire.) On se caricature tous un peu au début, il y a comme une épreuve de force qui s’installe. On a besoin de savoir si l’on peut se faire confiance les uns les autres. Pour résumer, il faut être dans un profond abandon... mais contrôler de temps en temps. Quand vous voyez que la plus grande actrice française, Isabelle Huppert, y prend un soin aussi intense, vous vous dites que ce n’est peut-être pas pour rien.

J’imagine que c’était, là encore, particulièrement sensible pour la scène d’amour avec Vincent Lacoste.
J’en ai tourné très peu donc oui, j’étais stressée. En plus, Justine s’est montrée assez lâche à ce moment-là. Elle s’est subitement mise à parler comme une vieillarde, du genre « Quand vous allez faire la chose... » (Rire.) C’était drôle, mais ça instaurait un petit malaise qui n’avait pas de raison d’être. On n’est pas chez Gaspar Noé non plus ! Au final, il s’agit de filmer une émotion, sans doute la plus intime qui soit. Il ne faut pas se louper.

Vous étiez en vigilance orange ?
J’aimerais être plus libérée, mais la nudité n’est pas quelque chose de totalement anodin pour moi. Dans Et ta soeur, où l’on voit un peu mes fesses, j’ai demandé à Marion Vernoux de me montrer ce que ça donnait avant de valider. Le naturalisme, c’est bien jusqu’à un certain point. Je suis pour un entre-deux. Le côté brut de Justine convient à La Bataille de Solférino (tourné par la réalisatrice sans moyens en quelques jours), mais je ne m’imaginais pas filmée dans une lumière crue, caméra à l’épaule. Difficile, par ailleurs, d’oublier que n’importe quelle scène de nu peut se retrouver sur Internet où tout est biaisé et rabaissé.

La scène est finalement très jolie et raconte des choses sur les personnages. Elle n’est pas gratuite.
Victoria fait partie de ces femmes modernes qui revendiquent haut et fort leur sexualité et en parlent comme des mecs. Avant, ça ne leur appartenait pas, alors désormais, ça doit leur appartenir d’autant plus fort. J’aimais cette idée que, confrontée à ses émotions et à ses contradictions, elle ne savait plus trop ce que ça voulait dire. Dans cette scène, elle n’est plus dans la négociation avec des partenaires d’un soir mais dans un élan vital. Elle reprend possession de son corps.

Victora est disponible en DVD, Blu-Ray et VOD. Bande-annonce :