Jean-Pierre Bacri
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Cinq fois Césarisé comme scénariste et acteur, l’inoubliable héros de Mes meilleurs copains, Didier, Le Goût des autres et Le Sens de la fête s’est éteint à 69 ans.

A 17 ans, un voyant avait donné à Jean- Pierre Bacri la date de sa mort : juin 2015. Le destin lui en aura accordé 5 ans et demi de plus mais n’a pas pour autant atténué le choc de la nouvelle de sa disparition à seulement 69 ans ce lundi 18 janvier. Le cinéma français et le public perdent un acteur, scénariste et dramaturge hors pair avec, de L’Eté en pente douce au Sens de la fête en passant par Un air de famille, Didier ou On connaît la chanson une foule de personnages et de scènes qui nous viennent immédiatement à l’esprit, à la seule évocation de son nom.

Au cinéma, il débarque pourtant sur le tard. A 27 ans et pour une seule réplique : "C’est fini… Jean-Marie", mais face à Alain Delon, dans Le Toubib de Pierre Granier-Deferre. Il faut dire que jamais ce natif d’Alger – qu’il a quitté à 10 ans pour venir vivre à Cannes – ne s’est imaginé acteur. Jusqu’à ce qu’un soir la fille d’un producteur qu’il espérait séduire l’invite à venir avec elle au Cours Simon. Là, il a une révélation. Tout ce qu’il voit lui plaît. Alors quand le prof demande si dans le public présent, certains ont envie de s’inscrire, il lève spontanément la main. "Pour la première fois de ma vie, j’étais passionné par quelque chose", confiait- il dans Studio Magazine à Thierry Klifa en 1999.

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Dès lors tout s’enchaîne, après le Cours Simon, il suit le Cours Périmony, et il fait ses débuts au théâtre à la fois comme acteur (Lorenzaccio mis en scène par Jean- Pierre Bouvier) et comme dramaturge (5 pièces entre 1977 et 1980) jusqu’au Toubib, donc puis, dès 1982, le temps des premiers rôles importants et des premiers succès quand il enchaîne Le Grand pardon et Le Grand carnaval d’Alexandre Arcady et Coup de foudre de Diane Kurys. Mais il ne se laisse pas griser. Au contraire, il craint de se faire enfermer dans les rôles de pied-noir et en refuse pas mal avant de connaître deux superbes années, 1984 et 1985, où on le retrouve successivement à l’affiche de La Septième cible avec Lino Ventura et de deux films culte : Escalier C de Jean-Charles Tachella et Subway de Luc Besson où son personnage de l’Inspecteur Batman lui vaut sa première nomination aux César, lors d'une cérémonie qui voit triompher Michel Boujenah pour Trois hommes et un couffin. Et lui n’oubliera jamais sa scène avec Isabelle Adjani : "une rencontre d’acteurs comme j’en ai rarement fait. C’est magique ce qui s’est passé ce jour- là."

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Dès lors, Jean-Pierre Bacri tourne de plus en plus régulièrement, passe de Jacques Deray (On ne meurt que deux fois) à Jean-Pierre Mocky (Les Saisons du plaisir), de Tony Gatlif (Rue du départ) à Pierre Tchernia (Bonjour l’angoisse) avec, au milieu de cette activité grandissante, deux rôles dans deux films qui vont traverser les époques, en dépit d’un box- office bien en deçà de ce qu’ils méritaient à leurs sorties : Fane dans L’Eté en pente douce, et Guido, le directeur commercial stressé de Mes meilleurs copains. Sur le plateau de ce dernier, l’ambiance se révèle pourtant tendue. Jean- Pierre Bacri expliquera que Jean- Marie Poiré fut déçu par lui et le lui a bien fait sentir sur un plateau divisé en deux clans : Poiré et Christian Clavier d’un côté, Bacri-Gérard Lanvin-Jean-Pierre Darroussin de l’autre. Un trio dès lors lié par une amitié indéfectible.

C’est aussi à la fin des années 80 que Jean-Pierre Bacri va faire une rencontre décisive : Agnès Jaoui. "L’expérience de ma vie, c’est elle. C’est même LA rencontre de ma vie. J’ai appris la moitié de ce que je sais avec elle", expliquait- il à Studio. "Elle m’a apporté une exigence sur le fond et une connaissance de la psychologie. Elle m’a fait comprendre que les gens masquent sans cesse leur propos." Soit tout ce qui va faire le sel des pièces et des scénarios qu’ils vont créer, avec un succès ininterrompu à partir du début des années 90. Côté cinéma, ce sera Cuisine et dépendances que réalisera Philippe Muyl, Un air de famille mis en scène par Cédric Klapisch puis Smoking/ No Smoking (adapté de la pièce Intimate Exchanges d'Alan Ayckbourn) et On connaît la chanson pour Alain Resnais. Avant qu’Agnès Jaoui ne mette elle-même en scène Le Goût des autres, Comme une image (avec un Prix du scénario au festival de Cannes 2014 à la clé), Au bout du conte et Place publique, qui restera donc leur ultime collaboration en 2018.

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Pendant toutes ces années, le duo Bacri-Jaoui règne sur les César. Avec 4 statuettes pour Smoking/ No smoking, Un air de famille, On connaît la chanson (doublé du César du second rôle, son seul comme comédien) et Le Goût des autres, ils deviennent même les recordmen de la catégorie meilleur scénario avec, à chaque fois sur scène, des discours politiques engagés qui font date. Et en parallèle, Jean-Pierre Bacri poursuit sa carrière de comédien en passant des seconds aux premiers rôles. En partageant le haut de l’affiche parfois comme chez Alain Chabat (Didier), Nicole Garcia (Place Vendôme, Selon Charlie). Ou en tête d’affiche solo comme chez Claude Berri (Une femme de ménage), Raphaël Jacoulot (Avant l’aube) ou Gérard Pautonnier (Grand froid). Avec un emploi – le bourru au cœur plus grand qu’il n’y paraît souvent passé à côté de sa vie – qu’il creuse en parvenant toujours à y glisser des nuances telles qu’il ne se répète jamais. "J’ai tendance à aller vers ce genre de rôles. Les battants genre Harrison Ford, à qui le monde fait des misères, cela ne m’intéresse pas. Rien ne me touche plus que le désarroi. Il suffit d’une phrase ou d’une image pour me faire pleurer. Je pleure souvent d’ailleurs. Ca fait du bien." Et ses compositions séduisent. Dans toute sa carrière, Jean-Pierre Bacri aura décroché 6 nominations comme meilleur acteur pour Kennedy et moi de son ami Sam Karmann en 2000, Le Goût des autres en 2001, Les Sentiments de Noémie Lvovsky en 2004, Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer en 2014, La Vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc en 2016 et Le Sens de la fête en 2018. Ce rôle d’organisateur de mariage dépassé par les événements, écrit pour lui (et auquel il ajouté sa patte) par Olivier Nakache et Eric Toledano aurait d’ailleurs pu donner naissance à un temps fort de la cérémonie. Une consécration comme comédien quelques mois après avoir reçu le Molière pour sa géniale interprétation dans Les Femmes savantes, mis en scène par Catherine Hiegel. Jean-Pierre Bacri était le grand favori et on sentait ce soir- là dans le regard de celui qui s’épanchait si peu (qui sait par exemple qu’il était un connaisseur pointu et enthousiaste de la musique rap ?) combien il aurait savouré ce moment. Et puis la vague Petit paysan a tout emporté sur son passage et Swann Arlaud s’est imposé. Sans que ce soit un scandale bien sûr… mais en laissant un arrière-goût de tristesse chez tous les admirateurs de Jean-Pierre Bacri.

Dans la foulée, il y aura trois films : un passage hilarant dans le Santa & Cie de son pote Chabat, le rôle d’un animateur télé très ardissonien dans Place publique et le père d’une tribu familiale riche en névroses dans Photo de famille de Cécilia Rouaud. Son ultime apparition sur grand écran, voilà déjà plus de deux ans. Se dire qu’on ne l’y reverra plus fait naître une sidération et une tristesse infinie au moment où on écrit ces lignes.