Vincent Ferré, professeur de Littérature à l’université Paris Est Créteil, vient de publier Lire JRR Tolkien chez Pocket. Juliette Amadis est l’administratrice du site Tolkiendrim et secrétaire adjointe de l'association Tolkiendil. Ces deux experts de l'auteur du Seigneur des Anneaux et du Hobbit nous livre leur avis sur les films de Peter Jackson.C’est bien connu : qui aime bien, châtie bien.Dans la mesure où Peter Jackson a tiré d’un livre assez court une trilogie de films (tous très longs), est-il pertinent de tenter une comparaison ?Vincent : Faire une liste de ce qui manque et de ce qui a été ajouté, de ce qui a été transformé ou mal compris (car le scénario a toujours constitué la grande faiblesse des films de Peter Jackson « adaptés de Tolkien ») ne mènerait nulle part. Cela fait longtemps – depuis le milieu de la première trilogie, celle du Seigneur des Anneaux – que Peter Jackson n’adapte plus vraiment les œuvres de JRR Tolkien dont se réclame le scénario mais plutôt l’image qui a été proposée d’elles par des artistes de talent comme Alan Lee et John Howe. Or cette fois-ci, le rôle de ces deux intervenants apparaît assez réduit, comme semble le refléter leur place dans le générique final. Il faut juger ce film pour ce qu’il est : un divertissement rappelant la forme d’un conte dans lequel on aurait injecté une dose d’épopée… Il appelle une comparaison avec Star Wars ou Indiana Jones plutôt qu’avec les œuvres de Tolkien.Juliette : Nous pouvons toujours tenter une comparaison vu qu’il s’agit d’une adaptation. Cependant, je pense que tout fan de Tolkien qui se respecte préfère ne pas se risquer sur ce terrain. Selon moi, la meilleure chose à faire reste de prendre le livre et le film comme deux entités bien distinctes et de voir le film comme une ouverture sur l’univers incroyable du professeur.>> Le Hobbit : une sensation continue de jamais-vu">>>> Le Hobbit : une sensation continue de jamais-vuPour vous quels sont les points forts et les points faibles du film ?V : Le point faible concerne l’enchainement entre les scènes longues et des scènes courtes qui viennent s’intercaler, cassant la fluidité de la narration, sans rien apporter ; ou les incohérences. Le spectateur peut se demander si le film est terminé, ou s’il vaut mieux attendre de voir l’inévitable « version longue » du DVD.J : Le point fort du film est sans conteste l’aspect visuel. Jackson repousse les limites de la technologie et nous propose un petit bijou d’innovations techniques. Les effets spéciaux sont, pour une grande majorité, à couper le souffle. Mais cette force peut aussi devenir une faiblesse quand on a l’impression d’une simple succession de prouesse techniques. Autre point fort : le jeu des acteurs. Martin Freeman, Richard Armitage, Ian McKellen ou encore Cate Blanchet sont tous impressionnants, et je n’imagine pas d’autre acteur pour incarner Bilbo que Martin Freeman, qui a parfaitement saisi l’essence même de son personnage. Dans les points faibles : étirer à ce point pour raconter une histoire simple et rapide. Le film fait dans la surenchère et certaines scènes sont inutiles. Pour finir, ce dernier volet nous laisse comme un gout d’inachevé ; la fin des personnages est totalement inexploitée.>> Martin Freeman : "J'ai travaillé Bilbo comme le mec qui ne sera jamais au centre de la pièce">>>> Martin Freeman : "J'ai travaillé Bilbo comme le mec qui ne sera jamais au centre de la pièceLa vision de l'univers de Tolkien vous paraît-elle juste ?V : S’il s’agit de savoir si le film de Peter Jackson a quelque chose à voir avec un conte inventé pour des enfants, devenant de plus en plus grave au fil des pages, vous pouvez deviner ma réponse !J : Pour moi, Peter Jackson n’a pas réussi le pari fou de restituer l’ « esprit Tolkien » avec cette trilogie du Hobbit, contrairement à la trilogie du Seigneur des Anneaux. L’émotion n’est pas assez présente dans ce dernier volet, car les scènes fortes se voient constamment interrompues par des séquences pseudo humoristiques. Cela mis à part, la vision de Tolkien reste plus ou moins « juste » dans le sens où on s’y retrouve quand même un peu, malgré les différences.L'ajout du personnage de Tauriel vous semble-t-il justifié ?V : Cela aurait pu être une bonne idée, car l’amour impossible entre des êtres de peuples différents est essentielle chez Tolkien : l’histoire de Beren (un homme) et Lúthien (une Elfe) est centrale dans le Légendaire – l’ensemble des récits et histoires inventées par Tolkien. Elle est reprise dans Le Seigneur des Anneaux, à travers Aragorn et Arwen. Faire sentir la différence de destinée entre une Elfe immortelle et un Nain mortel aurait pu être un ajout intéressant ; malheureusement, les dialogues entre ces deux personnages, ou entre Tauriel et Legolas, sont peu élaborés.J : Je suis partagée sur ce point. Je ne ressens pas le manque de personnage féminin en lisant le Hobbit, cela ne m’a pas dérangée. Par contre, j’aurais ressenti ce manque dans les films. Dans un sens, son ajout peut être justifié. Je pense qu’il est motivé par la volonté de créer un triangle amoureux, superficiel mais presque indispensable dans tout film Hollywoodien. Personnellement, je trouvais la présence de Galadriel amplement suffisante pour ajouter cette touche de « féminité ». Tauriel et sa romance avec Kili sont pour moi l’exemple même de la dérive mercantile du film.>> ">>>> Orlando Bloom : "Je dois tout à Legolas"La trilogie de Bilbo vous paraît-elle aussi réussie que celle du Seigneur des anneaux ?V : Avec deux fois plus de moyens, la nouvelle trilogie est moins convaincante que la précédente, qui frappait par ses innovations technologiques et se présentait comme une étape importante dans l’industrie cinématographique. Ici, on peut se demander s’il ne s’agissait pas avant tout de satisfaire les spectateurs de la 1ère trilogie, en leur offrant la même chose.J : C’est dur de comparer. Cependant, la 1ère trilogie avait le mérite d’avoir plus ou moins réussi à restituer l’esprit Tolkien, ce qui n’est pas le cas pour le Hobbit. De plus, beaucoup de fans reprochent l’aspect trop « lisse » et trop « parfait » des effets visuels du Hobbit. Il est vrai que les Orcs incarnés par de vrais acteurs, avec de vraies prothèses, nous manquent ! Et cette saga est assez dépourvue d’émotion. Quand je regarde Le Seigneur des Anneaux, je ressens ce frisson que je n’ai pas avec cette trilogie du Hobbit.Quels personnages vous ont convaincus ou au contraire, déçus ?V : Bilbo apparaît bien joué, surtout en comparaison des autres acteurs, par Martin Freeman – assez complexe, il évolue au fil de l’histoire. Thorin semble également assez intéressant par son épaisseur psychologique.J : Les personnages de Gandalf, Elrond, Galadriel et Bilbo restent pour moi les plus fidèles à l’esprit du livre, tant dans leur aspect physique que dans leur interprétation cinéma. En revanche, je suis extrêmement déçue par le personnage de Radagast, qui passe pour le dernier des imbéciles avec son traineau tiré par d’énormes lapins. Pareil pour les nains. Chez Tolkien, ce sont des êtres nobles, pas ces personnages grossiers qui rotent à table. Leur apparence physique est à des années lumières de celle dépeinte par Peter Jackson. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose dans ce cas précis, cela n’empêche qu’il s’éloigne.L’ajout de l'histoire parallèle du Nécromancien vous semble-t-il pertinent ?V : La scène de l’emprisonnement de Gandalf est une simple répétition du même épisode, dans Le SDA, quand il est captif de Saruman. Dans Le Hobbit, J.R.R. Tolkien suggère la présence du Nécromancien : on ne le voit pas. Comme toujours, le film de Peter Jackson surligne, en rajoute – mais il finit par franchir la ligne entre le spectacle et l’excès de spectaculaire.J : Là aussi l’histoire diffère, même si dans l’ensemble on y retrouve l’idée principale. Dans le troisième volet, Peter Jackson nous montre un Saruman qui nous rappelle déjà celui présenté dans le SDA, obsédé par la quête de l’anneau. Je regrette que Peter Jackson n’ait pas inclus d’autres membres du conseil. Mais cet ajout, effectivement absent du livre, n’est pas sans intérêt et apporte une véritable plus-value dans cette trilogie.>> Ian McKellen : "Gandalf, c'est l'ONU de la Terre du Milieu">>>> Ian McKellen : "Gandalf, c'est l'ONU de la Terre du MilieuEst-ce que le côté plus "enfantin" de l'histoire de Bilbo alourdit le film ?J : Oui et non. À, l’origine, Le Hobbit est un conte écrit par Tolkien pour ses enfants, je trouve donc « normal » qu’on retrouve dans le film ce côté enfantin. Cependant, on n’y retrouve pas l’humour et l’espièglerie du livre. Les tentatives d’humour de Peter Jackson avec le personnage d’Alfrid ne prennent pas. J’ai l’impression que le cinéaste ne sait pas toujours se positionner. Un coup le film est sombre et effrayant, un autre, il est « drôle » et coloré.V : La saga du Hobbit est-elle encore pour les enfants ? Certainement pas, sauf si l’on veut les traumatiser ! Les quelques moments qui leur semblent destinés sont isolés et, du coup, tombent à plat : je pense par exemple à la chute du dragon sur un personnage ; elle rappelle une esthétique (et un comique) de dessin animé, mais elle « tombe » mal…La bataille du titre est-elle à la hauteur ?J : Je me demandais comment il allait tenir 50 minutes avec une bataille qui ne représente que quelques pages. Mais je m’attendais à voir les 5 armées bien distinctes, et sauf erreur de ma part, on ne voit pas les loups sauvages. On voit beaucoup les nains, les elfes et les gobelins. Je suis un peu déçue car j’ai trouvé cette bataille un peu fourre-tout. Les aigles sortent de nulle part, de même pour Beorn. Les scènes de combats étaient trop longues et sans réel intérêt. Jackson s’est focalisé sur le combat de Thorin, Kili, Tauriel et Legolas. Pour moi, c’était un pur enchainement de baston inintéressant. Encore une impression de remplissage.V : La bataille est constituée de moments successifs, sans continuité ; on sent trop l’enchaînement de « morceaux de bravoure », où l’inventivité sans limite risque de ne pas plaire à tout le monde. Il manque l’absence d’un point de vue, comme celui d’Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux, qui viendrait unifier la vision de la bataille.>>> En vidéos : 10 scènes cultes en Terre du MilieuSmaug est-il au niveau de sa version littéraire ?V : Je le trouve réussi mais il amène à s’interroger, plus largement, sur l’utilisation du numérique. Elle est tellement massive qu’elle s’harmonise mal avec le reste, cassant l’illusion que devrait avoir le spectateur d’être projeté dans un monde – c’est pourtant l’impression que ressent le lecteur de Tolkien. A la limite, pourquoi avoir eu recours à des acteurs et des décors ? Pourquoi pas un film d’animation ? On dirait que Jackson a hésité, et le film reste dans cet entre deux.J : Oui ! Smaug est, pour moi, l’une des grandes réussites de cette adaptation. Il est grandiose et tout simplement impressionnant, on s’y croirait ! Je l’ai préféré dans le dernier volet, je pense que beaucoup seront d’accord pour dire que sa courte scène de début est la plus réussie du film.Interview Yérim SarLe Hobbit - La Bataille des Cinq Armées est actuellement dans les salles