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L'abécédaire secret d'Alain Resnais

C comme Comédie musicale

On connaît la chanson, Aimer boire et chanter... Tout est déjà dans les titres. Avec la BD, le <em>musical</em> est l?autre passion d'Alain Resnais. Comme dans ses propres films, l?artifice y est totalement assumé et la comédie musicale entraîne le spectateur dans un monde fantasmé, irréel, ou le spectacle se dit comme tel. Resnais n?en n?a jamais réalisé, mais <em>La Vie est un roman</em>, <em>On connait la chanson</em> et Pas sur la bouche font plus que flirter avec le genre. Pas étonnant du coup : Resnais a souvent travaillé avec des maîtres du genre. Stephen Sondheim (compositeur de West Side Story) a écrit la musique de Stavisky..., Konder, compositeur de Chicago et Cabaret, a écrit celle de I Want To Go Home où jouait Adolph Green, compositeur de la musique de Chantons sous la pluie?. Et Resnais a réalisé un formidable docu sur Gershwin.

B comme BD

La vraie passion d'Alain Resnais. Sous toutes ses formes : les comics, le strip, la BD franco-belge? Evidemment, les références pullulent dans ses films. Il ira jusqu?à prendre pour héros un auteur de BD comme héros dans I Want to go home (film oublié et gros flop de sa carrière dans lequel des bulles apparaissaient à l'écran). Enki Bilal a participé aux décors de La Vie est un roman et sa collaboration avec Stan Lee est notoire? C?est pourtant plus qu?un gimmick ou une influence esthétique. C?est une part essentielle de son cinéma et Resnais a souvent avoué que les cadres des grands cartoonists américains l?avaient profondément influencé dans sa mise en scène. Mieux, ses volutes narratives pourraient venir de là : ?Mon goût d?un récit discontinu, brisé, avec des histoires entrecroisées vient peut-être du fait qu?étant donné la guerre, étant donné les aléas des éditeurs, je n?ai pas pu lire Terry et les Pirates dans l?ordre?.

J comme Jeu de Marienbad

Dans L?Année dernière à Marienbad, Sacha Pitoeff explique : ?Cela se joue à deux. Les cartes sont disposées comme ceci : 7,5,3,1. Chacun des joueurs ramasse des cartes à tour de rôle, autant de cartes qu?il veut, à condition de n?en prendre que dans une seule rangée à chaque fois. Celui qui ramasse la dernière carte a perdu?. A vous de jouer.

L comme Stan Lee

A la fin des années 60, Alain Resnais part en vacances pour deux semaines aux Etats-Unis. Il y restera deux ans. C?est notamment là-bas qu?il tourne quelques plan pour L?An 01 de Jacques Doillon. Mais c?est surtout là-bas qu?il sympathise avec Stan Lee qui lui écrira deux scénarios : The Monster Maker et The Inmates. Ce dernier racontait les réactions d?une assemblée des Dieux voyant l?homme arriver sur la Lune. Les Dieux envisageaient de tuer les hommes avant qu?une de leurs émissaires décide de leur donner une chance?. Selon Resnais, The Inmates devait être un film burlesque sur les humains si mal conçus qu?il était indispensable de les mettre en quarantaine sur terre. Plus surprenant encore : des producteurs offrirent à Resnais de tourner Spider-Man. Il refusa devant la pauvreté du budget. Resnais voulait par ailleurs réaliser une adaptation Captain America? Pour l?anecdote : dans le film collectif Loin du Vietnam, on entend la voix de Stan Lee égréner les cours de la bourse dans le segment réalisé par Resnais.

E comme Ecrivain

On a souvent dit qu?Alain Resnais n?avait été que le serviteur fidèle de ses scénaristes. Qu?il s?effaçait derrière eux. Jusqu?à sa collaboration avec Jean Gruault, Resnais avait eu recours aux plus grands : Duras, Robbe-Grillet, Queneau, Semprun. Des écrivains qui n?avaient - à l?époque - jamais fait de cinéma. Et à qui il demandait un script original. Resnais a toujours refusé d?adapter un livre existant et Semprun expliquait : ?Comme il engage un écrivain, Alain n?écrit jamais rien. Il se fait écrire un roman pour lui?. Un roman qu?il peut modifier et faire sien. Si tous ses films sont différents, si ce sont d?abord des oeuvres de Duras, de Semprun ou Robbe Grillet, fidèles à l?univers de ces romanciers, c?est parce qu?il réussit à reprendre ces histoires à son compte. Il apporte un langage cinématographique, un style qui rendent ces textes plus clairs, plus évidents, plus proches de qu?ils sont au plus profonds d?eux mêmes. Semprun avait d'ailleurs une théorie : "je pense que le style de Duras a totalement changé au contact de Resnais. Son fameux style incantatoire s'est à mon avis forgé au contact d'Alain"

T comme Théâtre

La Vie est un roman ?  Peut-être, mais pour Alain Resnais, elle est surtout une gigantesque scène de théâtre. Le cinéaste s?éteint alors que sort bientôt son dernier film, <em>Aimer Boire et chanter</em> qui adapte, une fois de plus, une pièce d?Alan Ayckbourne. Dans Mélo déjà, Resnais démontrait que le théâtre pouvait très ben s?acoquiner avec le cinéma d?avant-garde. Aucune volonté d?aérer le matériau, de trahir le théâtre pour faire cinoche. Au contraire, il montrait le rideau et on entendait des murmures du public pendant le générique. Pourtant Resnais signait d?abord un immense film de cinéma. C?est ce qu?il avait voulu faire une dernière fois avec Aimer boire et chanter.

S comme SF

Resnais n?a jamais réalisé un film de SF même si Je T?aime Je T?aime, avec sa machine à explorer le temps, ses visions de cauchemar (comme sur cette photo) et son savant fou s?en rapproche le plus. Mais en vrai fan du genre, son oeuvre baignait dans des concepts et des thématiques spécifiques à la SF. La coexistence de différents niveaux de temporalité, la rencontre entre réel et imaginaire, le gout du possible? Evidemment, Resnais a souvent failli signer un vrai film de SF. Semprun avait même travaillé sur un projet où, dans une civilisation future, le contrôle des naissances aurait été remplacé par le contrôle des morts. Dans un autre genre, Mon Oncle d?Amérique peut être considéré comme une pure oeuvre SF, au sens propre, puisque la science et la fiction se téléscopent. Comme chez Theodore Sturgeon ou Asimov, la science joue un rôle narratif et la narration un rôle didactique. CQFD.

A comme acteurs

C?est l?alpha et l?oméga de son cinéma. Resnais aimait autant leur corps, que leur esprit, leur personnalité et fantasmait ses comédiens. Et surtout ses comédiennes. On n?a peut-être pas assez remarqué que Resnais savait filmer les femmes comme personne et qu?il avait inventé des actrices comme seule Truffaut a su le faire chez nous : Anny Duperey a-t-elle jamais été aussi belle que dans Stavisky ? Delphine Seyrig - sa beauté classique, sa sensualité rigide- est inoubliable dans <em>Marienbad</em> et Muriel. Et Emmanuelle Riva iconisée dans Hiroshima? Mais c?est évidemment son quatuor qu?il faut retenir. A partir de <em>Mon Oncle d?Amérique</em>, et surtout <em>La Vie est un roman</em>, se forme peu à peu une mini troupe avec laquelle Resnais fera tous ses plus grands films : André Dussolier, Pierre Arditi, Sabine Azéma et Fanny Ardant

P comme possibles

Sommes-nous si différents que ça des rats de Mon Oncle d'Amérique qui tournent dans leurs cages ? Au fond, la grande question que posent les plus grands films de Alain Resnais, c?est : par quelles forces sommes nous déterminés ? Qu?est-ce qui explique nos comportements ? <em>Mon Oncle d?Amérique</em>, suivant les théories d?Henri Laborit, les met sur le compte des pulsions inconscientes. Smoking / No Smoking met en avant le rôle du hasard, nous faisant bifurquer vers une nouvelle destinée chaque fois qu?on prend une décision plutôt qu?une autre. Et L?Amour à mort fonctionnait sur ce principe puisque, bien avant <em>Un Jour sans fin</em> (impossible de ne pas penser à Ramis aujourd?hui), le personnage de Sabine Azéma revivait deux fois les mêmes événements. Une fois avec son mari, l?autre fois sans, après qu?il est décédé. Resnais était obsédé par l?idée de la répétition - et notamment d?un même événement mais dans des conditions différentes. Marienbad raconte-t-il la répétition d?une histoire vécue ou la concrétisation du fantasme d?un des personnages ? Hiroshima suit parallèlement deux histoires d?amour qui se déroule dans des temps différents? Mais dans le genre, son chef d?oeuvre méconnu reste Je t?aime Je t?aime, sublime mélo SF qui joue sur la répétition et les possibles avec une grâce inouie.     

T comme Titres

La plupart des titres des films d'Alain Resnais sont des phrases qui semblent être la clé du film...  La vie est un roman, On connait la chanson, La Guerre est finie, Aimer, boire et chanter, I Want To Go Home?. Des signes ? Un code ? Jean Gruault, l?un de ses scénaristes, expliquait que ?Resnais avait un cahier dans lequel il notait des titres possibles pour ses films. Parfois, ça pouvait n?avoir aucun sens?. Le mystère s?épaissit... 

D comme Harry Dickson

A la base, Harry Dickson est un détective britannique, héros de romans à épisodes complètement délirants (plus proches du fantastique surréaliste que de Sherlock Holmes), bourrés de monstres, d'énigmes et de tortures, écrits par le Belge Jean Ray. Le projet d?adaptation a traîné pendant des dizaines d?années. Le producteur historique Anatole Dauman proposa le premier ce projet au cinéaste. Frederic de Tovarnicki, ambassadeur philosophe, écrivit un scénario (édité depuis). Resnais avait casté ses personnages et Laurence Olivier, Vanessa Redgrave étaient notamment de la partie? Le film ne se fit jamais, mais montre bien l'obsession du cinéaste pour les énigmes policières, les gentleman cambrioleur, la série noire, blème, grise et le fantastique. Harry Dickson ou la baleine blanche de Resnais dont il ne reste plus qu'un script, quelques photos de repérage et des traces dans toute sa filmo (l'imaginaire de l'écrivain anglo-saxon interprété par John Gielgud dans Providence, le jeu de Delphine Seyrig dans Marienbad...). 

Alain renaît !

Avec Alain Resnais, c?est plus qu?un cinéaste qui disparaît. C?est un enchanteur. Si on devait définir son travail, plus que la rigueur, plus que l?intelligence, on dirait que ce qui constitue la force de Resnais, c?est le gout de l?illusion, du trompe l?oeil, de la facticité dans ce qu?elle a de singulier, fascinant et parfois naïf. Chacun de ses films nous transportait dans des mondes qui, au fond, n?avaient jamais existé. Des monde dont le sérieux et les esprits graves nous avaient exilé, les mondes du rêve, de la BD, du théâtre?. Approchez-vous. Regardez. Plus près. Vous verrez que tous les fims de Rensais sont irréels, comme rêvés. De Hiroshima à Smoking, de Mon Oncle d?Amérique à Pas sur la bouche, rien n?adhère, rien ne touche le sol. C?est la marque de son talent qui échappe à la pesanteur, apporte à toute chose une bizarrerie naturelle, une théâtralité étrange, un classicisme dénaturé qui créent une allégresse subtile. Certes, il y a eu Duras, Robbe-Grillet. Il y a eu Hiroshima et les statues de Marienbad. Laborit et la Shoah. Cinéaste chiant ? Hermétique ? Trop littéraire ? N?est-ce pas l?immense critique Jacques Lourcelles qui lui attribuait le titre  ?d?intellectuel le plus ennuyeux qui ait paru dans son siècle? ? Malgré l?admiration sans borne qu?on voue à Lourcelles, on est obligé de dire que sur ce point, il avait tout faux. A l?abri des modes, Resnais a construit l?une des oeuvres les plus folles du cinéma français, rétive à toute réduction. Mais surtout une oeuvre ludique. D'où cet hommage en forme d'abécédaire aléatoire (ça lui aurait sans doute plu) pour vous plonger dans les souterrains d?une filmographie et d?une oeuvre sans borne et esquisser quelques pistes de découvertes. Comme une boussole. Pour vous donner envie de vous perdre une fois de plus, une fois encore dans cette oeuvre immortelle.  

F comme Film-annonce

On ne dit pas bande-annonce - et encore pire trailer - à dessein. Parce qu'à chaque fois, les films promos de Resnais étaient des petits bijoux d?intelligence, d'ironie. Qu?il ne réalisait pas forcément lui-même. On se souvient de la BA de Vous n'avez encore rien vu qui, sur une musique d'Aznavour, montrait tous ses acteurs en gros plans et laissait le spectateur sans "avoir rien vu". Ou bien la bande-annonce de Pas sur la bouche réalisée par Bruno Podalydès où André Dussolier expliquait qu'il ne jouait pas dans le film. Reprenant le concept des bandes-annonces 50?s qui informaient et appataient sans rien montrer des films, ces petits films alimentaient le mystère ou jouaient avec les codes du long-métrage. Et rejoignaient le côté religieux, ritualiste et obsédé du spectacle de ce cinéaste unique.Dans le genre, le must reste la bande-annonce de On Connait la chanson réalisée par Agnès Jaoui. 

Réalisateur majeur du cinéma français, Alain Resnais est mort hier. Hommage en forme de promenade ludique dans son univers fantaisiste.