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L’Oscar honorifique qui doit être remis à Jean-Luc Godard le 13 novembre prochain fait scandale outre-Atlantique. La presse américaine se pose des questions sur l'antisémitisme de JLG. Deux experts du cinéaste, Antoine de Baecque et Jean-Luc Douin, répondent à la polémique américaine.Par Elodie Bardinet.C'est un article du Los Angeles Times qui a mis le feu aux poudres avec un titre très violent : "Jean-Luc Godard et son Oscar honorifique : est-ce que ça compte qu’il soit antisémite ?". Alors que le cinéaste doit recevoir un Oscar honorifique le 13 novembre prochain, la presse US a créé la polémique. Malgré son oeuvre cinématographique colossale (A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou, Alphaville, Sauve qui peut (la vie)...), depuis une semaine, les journaux américains se demandent donc si cet Oscar est mérité en pointant du doigt des dérives antisémites du cinéaste... C'est un fait, certains de ses propos sentent le souffre. Le New York Times a ainsi condensé de nombreuses critiques contre le cinéaste dans un article plus nuancé qui posait la question suivante : "Jean-Luc Godard, anti-sioniste et défenseur des droits des Palestiniens, est-il aussi anti-juifs ?". Les commentaires ont immédiatement fusé et le LA Times a aussitôt contacté le Président de l’Académie des Oscars, Tom Sherak. Ce dernier a dû justifier le choix de l’Académie de remettre un Oscar à JLG : "Ils (les votants) ont décidé d’offrir à Godard un Oscar pour sa contribution au cinéma durant les premières années de la Nouvelle Vague Française. L’Académie a toujours séparé l’art des artistes récompensés de leur vie personnelle."Godard est-il vraiment antisémite ?Il faut prendre un peu de recul. Quitter la polémique pour poser la seule question valable finalement : Godard est-il antisémite ? Pour y répondre, Première.fr s’est d'abord tourné vers Jean-Luc Douin. Ecrivain (son dernier ouvrage Jean-Luc Godard : Dictionnaire des passions, vient de paraître chez Stock) et journaliste au Monde, Jean-Luc Douin avait écrit dans les colonnes du quotidien un article ayant fait beaucoup de bruit : "Godard et la question juive". Il y rapportait les propos très polémiques du cinéaste, coupés au montage de Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, un documentaire d’Alain Flescher : "les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un Etat palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l'Etat d'Israël, aurait déclaré JLG lors du tournage. M. Douin revenait aussi sur une déclaration du cinéaste qui évoquait Hollywood, ce business "inventé par des gangsters juifs".Pourtant, quand on lui pose la question, le journaliste est ferme : "Si l'on me demande si Jean-Luc Godard est antisémite, je répondrai non,s’exclame-t-il. Mais c'est plus compliqué que ça. Ce qui est sûr, c'est que c'est un antisioniste convaincu, et qu'il se permet des raccourcis dangereux, douteux, sujets à controverse, par goût de la formule provocante." Antoine de Baecque, qui a publié en début d’année une biographie dédiée à Jean-Luc Godard aux éditions Grasset, confirme : "Il n'y a pas d'antisémitisme dans ses films. Par contre, c'est un militant pro-palestinien engagé, et certaines de ses déclarations sont profondément provocantes. Il sait qu'elles vont déclencher une polémique." Citant un extrait d'Ici et ailleurs, un film de Jean-Luc Godard sorti en 1974, où ce dernier a superposé une image de Golda Meir, Premier Ministre Israélienne de l'époque, et d'Hitler, comparant ainsi les Israéliens aux Nazis, De Baecque reconnaît que cette analogie est "très exagérée", mais qu'elle "ne vient pas d'une haine des juifs". Il ajoute que "ces images sont lues et comprises différemment de nos jours, puisque le contexte géopolitique n'a rien à voir avec celui des années 70 (années de réalisation du film NDLR)".Voici l’extrait en question : Une cabbale américaine ? Selon A. De Baecque, la biographie de Richard Brody a lourdement pesé sur l'image que les cinéphiles américains peuvent avoir de Jean-Luc Godard : "Depuis ce livre, on a l'impression que son antisémitisme est un fait entendu, alors qu'il n'y a aucun élément vraiment tangible." Il est vrai qu'il est difficile de savoir ce que Godard a vraiment déclaré, les exemples de citations choquantes rapportés par Alain Flescher ayant été dites (si elles ont été dites) une fois la caméra éteinte et les micros débranchés...Mais si rien de concret ne peut appuyer une telle accusation d’antisémitisme, pourquoi cette polémique ? Godard serait-il la cible des américains à cause de son cinéma ? JLG - qui s'est nourri de l'art US pour en détourner les codes et les faire exploser - ferait-il, encore aujourd'hui, peur au système Hollywoodien ? On remarquera qu'aucune personnalité ne s'est pour l'instant exprimée et que ces attaques ne viennent que des médias US... Antoine de Baecque regrette d'ailleurs que personne, parmi l'élite politique et/ou artistique française (Ministre de la Culture, CNC, acteurs qui ont tourné pour Godard), n'ait publiquement soutenu le cinéaste au moment où l'annonce de l'Académie des Oscars a été faite. "Godard fait peur"Pour Jean-Luc Douin, le cinéaste reste en effet un mystère, un mégalithe noir qui dérange : "Les gens connaissent le nom de Godard. Son nom est un emblème. Mais ils ne connaissent pas ses films. C'est d'ailleurs pour ça qu'il décline toute récompense honorifique depuis 20 ans (il n'est pas allé au dernier Festival de Cannes pour présenter son Film Socialisme, et sa femme a annoncé qu'il ne comptait pas non plus aller à Los Angeles pour recevoir son Oscar, ndlr). Finalement, les gens ne connaissent pas Godard. Il est mystérieux. Il peut même leur faire peur. Ils se sentent face à lui comme un homme de la rue complexé face à un grand philosophe.""Godard doit signifier cinéma, pas antisémitisme !""Cette polémique est caricaturale", affirme enfin Jean-Luc Douin. Sur la question du nom, Antoine de Beacque est encore plus virulent : "Son nom doit signifier cinéma, pas antisémitisme ! Son oeuvre n' a pas non plus à être salie...". Les deux hommes s'accordent au sujet du mérite du cinéaste. "Bien sûr qu'il mérite son Oscar !, ajoute l'écrivain de Godard. Une Biographie. "Il est fasciné par les Etats-Unis. Même si la reconnaissance américaine de son travail se limite en général aux années 60 à 80 (son dernier succès outre-Atlantique est Sauve qui peut (la vie), sorti en 1979 et les propos du Président de l'Académie des Oscars concernent bien le DEBUT de la Nouvelle Vague, ndlr), Godard a aimé le cinéma grâce aux films américains." J. L. Douin surenchérit : "A bout de souffle est un hommage aux séries B américaines, et il considérait Hitchcock comme un très grand cinéaste." Oscar or not Oscar ?Dans ce cas, pourquoi refuse-t-il d'aller chercher sa récompense, quelques semaines avant de souffler ses 80 bougies ? "Il préfèrerait que les gens qui aiment le cinéma voient ses films.", conclue ce dernier. Antoine de Baecque, lui, est plus optimiste : "La polémique ne peut que l'attirer. Il ne va pas là où on l'attend, mais il va là où on ne l'attend pas. Comme on ne l'attend plus aux Oscars, il pourrait très bien se décider le 12 novembre au soir ! Et puis, s'il y va, il sera en compagnie de Francis Ford Coppola, qui doit lui aussi recevoir un prix honorifique. Il existe entre eux une amitié réelle. Il le considère comme son allié."On saura dans quelques jours si sa prédiction se vérifie...Jean-Luc Godard Dictionnaire des passions, de Jean-Luc Douin, est disponible chez Stock Godard. Une biographie, d’Antoine de Baecque, est disponible chez Grasset.