DR

La jeunesse, le génie, la mort. Après deux thrillers assommants (The American et Un homme très recherché), Anton Corbijn renoue avec ses obsessions rock dans Life, récit de la rencontre 50s décisive entre James Dean (Dane DeHaan) et le photographe Dennis Stock (Robert Pattinson). Un anti-biopic éthéré et sublimement cafardeux.Anton, l’histoire du cinéma est truffé de personnages de photographes, mais je ne crois pas que beaucoup de films se soit penché aussi précisément que le vôtre sur la relation très particulière qui s’établit entre un photographe et son "sujet"…Sans doute pas. C’est vous le critique, à vous de me le dire ! J’aime bien Les Yeux de Laura Mars, et j’adore le personnage de Dennis Hopper dans Apocalypse Now… Mais c’est vrai que je ne connais pas de film totalement satisfaisant sur le sujet. C’est ce qui m’a séduit dans le script. Il faut dire que c’est l’une des questions centrales de ma vie depuis 40 ans… Pour être honnête, je ne connaissais pas grand-chose à James Dean, ni au travail de Dennis Stock. Vous renouez avec les thèmes de Control et une certaine idée de l’imagerie rock. Sauf que si vous tracez ici un parallèle, ce n’est pas tant entre Ian Curtis (le leader de Joy Division) et James Dean, qu’entre Ian Curtis et Dennis Stock. Deux misfits rongés par l’angoisse existentielle, qui ont ce rapport tordu à la célébrité et à leur propre talent…Je préfère ne pas trop réfléchir à ça, j’aime l’idée que chaque film ait sa vie propre. Après Control, on m’a proposé plein de biopics sur des icônes mortes jeunes, mais j’ai tout refusé, systématiquement, je n’avais pas envie d’être catalogué. La mort plane bien sûr sur Life, comme elle planait sur Control, parce qu’on sait en s’asseyant dans la salle que l’issue sera tragique. Mais cette fois-ci, la mort reste hors champ. James Dean ne mourra que six mois après la fin du film. Ian Curtis, lui, s’est suicidé, c’est une décision qu’il a prise, il fallait donc que je montre sa mort. C’est très différent à mes yeux.Tous vos films se terminent par la mort du personnage principal…Oh, c’est affreusement triste, dit comme ça. Le héros de Un homme très recherché ne meurt pas, lui. Mais on le voit sortir en effet sortir du cadre dans le dernier plan, et… … et Philip Seymour Hoffman était déjà mort quand le film est sorti en salles…Une vraie tragédie… (long silence) Je ne voudrais pas que ça devienne un motif récurrent de ma filmo. Je vais réfléchir à un happy end pour le prochain ! (Rires) Je vois Life comme l’histoire d’un homme, Dennis Stock, qui se reconnecte à la vie.L’idée de caster Pattinson dans le rôle de Stock est géniale. Pas seulement pour l’effet-miroir avec l’icône teenage James Dean, mais aussi parce qu’il est très crédible en artiste qui aimerait bien être pris au sérieux…Oui, c’est la grande problématique de la carrière de Robert. Il veut prouver au monde qu’il est un grand comédien -et il l'est, d'ailleurs- et il joue aujourd’hui un photographe qui voulait prouver au monde qu’il était un grand photographe. J’y ai bien sûr pensé, c’était un parallèle intéressant à creuser. Dennis Stock photographiait en noir et blanc, vous êtes vous-même l’un des maîtres du noir et blanc, Control était un biopic noir et blanc... Mais pourquoi Life est-il donc en couleurs ?Ah ah ! Question intéressante. Je me suis en effet posé la question de tourner en noir et blanc. Mais en faisant ça, je prenais le risque de dévaluer le travail de Stock. Il fallait que le spectateur puisse apprécier la finesse de son travail, son art de la lumière et des contrastes. Et pour ça, je devais montrer le monde tel qu’il est : en couleurs. Sinon c’était trop facile. Il y a cette scène merveilleuse dans le film, à Times Square, au petit matin. Stock prend cette photo légendaire de James Dean. Il y a un éclat particulier dans son regard juste après qu’il a appuyé sur l’objectif…C’est amusant, je ne le vois pas vraiment comme ça. Mes producteurs insistaient pour que je traite de l’émotion qui s’empare d’un photographe qui comprend qu’il vient de prendre un cliché important. Mais ça ne se passe jamais comme ça en réalité. Quand on prend une photo spéciale, on ne le réalise que bien plus tard. Il pleuvait ce matin-là, Times Square commençait à s’animer… je ne crois pas que Dennis Stock ait eu l’impression de vivre un moment particulier. Ce qui m’importait vraiment ici, c’est plutôt la conversation qui précède, le plaisir évident que prend Stock à bosser avec James Dean, la naissance d’un lien entre les deux hommes. Je ne sais pas si on peut appeler ça une amitié, disons plutôt que ces deux types se rendent service et aiment bien trainer ensemble. J’ai connu ça avec Depeche Mode, U2 ou Tom Waits. Ça fait de bonnes photos. J’ai surtout vécu un moment comparable au début de ma carrière, dans les années 70, quand j’ai photographié un pote pianiste nommé Herman Brood. Quelques années plus tard, il est devenu la plus grosse rock star des Pays-Bas. Mes photos de lui ont fini par être réputées, leur cote a grimpé. Et du jour au lendemain, tous les autres photographes du pays voulaient mon pote devant leur objectif. J’avais l’impression qu’on me volait mon sujet. C’est aussi de ça dont parle Life. Ça ne vous est jamais arrivé de prendre une photo et de savoir instantanément qu’elle allait être iconique ?Parfois, c’est vrai, tu te doutes qu’il va se passer un truc, quand les circonstances sont vraiment spéciales. Quand tu décroches quelques minutes avec Miles Davis, par exemple… Avec Bowie aussi, il y avait de l’électricité dans l’air. Mais ça n’a pas grand-chose à voir avec ce qui s’est passé entre Dennis Stock et James Dean. A l’inverse, est-ce qu’il est possible prendre une grande photo de quelqu’un avec qui on a une relation conflictuelle ?Sans doute. C’est juste pas mon truc. Je crois qu’Helmut Newton était bon pour ça. Mais vous savez, au début des années 80, je bossais pour un hebdo musical qui s’appelait le New Musical Express et j’y ai vu défiler des dizaines et des dizaines de groupes. Il y en a forcément dans le lot que je n’appréciais pas. C’est toujours l’interaction humaine qui détermine la composition et la force d’une photo. Alors, forcément, quand tu aimes ton sujet, tu te donnes un peu plus de mal.Interview Frédéric FoubertBande-annonce de Life, aujourd'hui en salles :