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On a bien cru qu’on ne le verrait jamais. Suite au mouvement #MeToo et à la résurgence des accusations de Dylan Farrow contre son beau-père Woody Allen, Amazon Studios, producteur et distributeur des trois derniers opus du réalisateur, avait choisi, début 2018, d’annuler purement et simplement la sortie d’Un jour de pluie à New York aux États-Unis. Le reste du monde – enfin, celui qui avait acheté les droits du film – n’était cependant pas concerné par cette décision dictée par une forme de prudence, elle-même conditionnée par un contexte américain très particulier. En France, Mars Films, distributeur régulier des films du réalisateur depuis dix ans, a sagement attendu que les choses se tassent un peu pour travailler la sortie. À l’arrivée, on ne peut que se réjouir de ce petit retournement de situation (c’en est bien un : les circonstances actuelles et l’échec cuisant en France de Wonder Wheel, le précédent Woody Allen, refroidiraient bien des ambitions). Si l’on s’en tient strictement à l’aspect artistique, Un jour de pluie à New York est sans doute ce que Woody Allen a fait de mieux depuis, disons, Blue Jasmine.
PUR ALLEN
Un étudiant intello, répondant au nom ronflant de Gatsby Welles (Timothée Chalamet), invite sa copine, Ashley Enright (Elle Fanning), à passer un week-end en amoureux à New York. La jeune femme, apprentie journaliste en cinéma, souhaite profiter de l’occasion pour rencontrer Roland Pollard (Liev Schreiber), l’un des plus grands réalisateurs en activité. Ça tombe bien, il a accepté le principe d’une interview pour la gazette universitaire d’Ashley. Les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévu. Obsédée par son entretien avec le grand homme, dépressif, Ashley est trimballée à travers New York tandis que Gatsby tente de tuer son spleen grandissant au hasard des rencontres qu’il fait dans les rues. Sur le papier, Un jour de pluie à New York n’a rien de révolutionnaire dans le sens où le bréviaire allenien reste inchangé : les personnages sont à la croisée des chemins et s’interrogent sur le sens à donner à leur vie. Ça discute, ça argumente, ça marche beaucoup dans la ville-monde (filmée avec cette proximité dont Allen a le secret), miroir des tracasseries existentielles des protagonistes. Les filles sont pétillantes et jolies, les garçons sont pédants, les adultes sont inconséquents, les escort girls ont de l’esprit. Le marivaudage est gai, trivial et mélancolique. Comme un air de déjà vu, et pourtant...
ATOUT CHARME
Pourtant, le film possède un charme indéniable. Ce petit supplément d’âme dont les Woody Allen du XXIe siècle sont parfois dépourvus – à l’exception de Vicky Cristina Barcelona et de Minuit à Paris. Ce charme (cette magie, « charm », au sens anglais du terme) est partout à l’écran : dans les conversations délicates et taquines entre Gatsby et Shannon (Selena Gomez), rencontrée sur le tournage d’un court métrage ; dans les éclats de rire exquis d’Ashley, parfaite ingénue qui ne perd cependant jamais le sens des réalités ; dans le personnage de la mère de Gatsby (Cherry Jones), incroyable et assez inédite créature allenienne qui débite le plus beau monologue du film, d’un féminisme qu’on n’a pas fini de commenter. Le renouvellement des générations contribue aussi à ce que le charme opère. Timothée Chalamet ne s’épuise pas à mimer Allen et joue à fond la carte du romantisme qu’il maîtrise à merveille. Elle Fanning est époustouflante de culot. Selena Gomez minaude juste ce qu’il faut. Kelly Rohrbach (l’escort) fait monter la température... Comme ragaillardi par cette jeunesse triomphante, Woody Allen montre qu’il en a encore sous le pied. C’est plutôt une bonne nouvelle.