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En deux ans et trois films, Ti West aura bâti une étonnante trilogie et, surtout, créé une fabuleuse héroïne de cinéma, Maxine Minx – grandement aidé dans cette entreprise par une actrice déchaînée, Mia Goth, véritable co-autrice de la saga. X (sorti en 2022) était une variation sur Massacre à la tronçonneuse qui postulait une gémellité (esthétique, industrielle, politique) entre le cinéma d’horreur et le cinéma porno. Puis Pearl, en 2023, s’affirmait comme une pure déclaration d’amour en Technicolor à la puissance d’incarnation de l’actrice, au sommet de son intensité weirdo. MaXXXine a été pensé comme le climax (le climaXXX ?) de cette balade cinéphile dans différents âges de l’Amérique, et du cinéma américain.
Rescapée des événements sanglants du premier film, Maxine Minx a trouvé refuge à Hollywood, terre promise de ses rêves de gloire. Nous sommes en 1985, le cinéma jouit pleinement de la libération des mœurs des décennies précédentes, le Night Stalker (surnom du tueur en série Richard Ramirez) terrorise la Californie, les ligues de vertu enragent quand elles entendent certaines chansons de Prince, et c’est dans ce contexte que Maxine s’apprête à quitter le monde du X pour entamer une carrière d’actrice « traditionnelle », dans une série B d’horreur aux ambitions arty, mise en scène par une réalisatrice intello jouée par Elizabeth Debicki. Mais le passé de la jeune femme ne va pas tarder à la rattraper, sous les formes d’un mystérieux assassin aux mains gantées de cuir, et d’un détective privé agressif et collant, interprété avec délectation par un Kevin Bacon semblant empester la transpiration, le mauvais whisky et les relents de poulet frit.
Plus inspiré par le Hollywood des années 80 que par le Texas des années 70 (X avait parfois du mal à transcender la seule recréation fétichiste), Ti West mêle ici très habilement le vrai et le faux, l’atmosphère d’une époque autant que la façon dont elle s’est cristallisée dans les films et les médias. Les citations abondent et on reconnaîtra, en vrac et sans exhaustivité, des traces de Hardcore, L’Ange de la vengeance, Body Double, Chinatown, Rosemary’s Baby, Vice Squad : descente aux enfers… C’est un univers où tout le monde semble vivre dans un film (tordantes apparitions de Bobby Cannavale en flic qui donne l’impression de passer un casting à chaque interrogatoire ou descente de police), une sorte de Once upon a time sur Hollywood Boulevard – sans la hauteur de vue théorique et le souffle mélancolique de Tarantino. C’est d’abord un film de pur plaisir, outrancier et délicat à la fois, où West flirte avec les fétiches et les mythes comme on joue avec le feu. Quitte, parfois, à se brûler, comme quand il s’approche de la maison de Psychose dans les studios Universal, mais fait demi-tour trop vite, comme intimidé.
Conçu dans un mouvement de balancier entre le vrai et le faux, entre hier et aujourd’hui, MaXXXine est aussi le portrait de cette jeune femme écartelée, tiraillée entre le puritanisme malade dans lequel elle a grandi et son inquiétante soif de célébrité – deux bonnes raisons de perdre la boule. Maxine émeut et passionne, en grande partie parce qu’elle ne cherche jamais à dissimuler la lueur dingo dans son regard. Il était question à un moment que Ti West conclut avec ce film une trilogie, mais on a franchement du mal à imaginer qu’il abandonne en chemin une héroïne aussi démente.