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Au dernier Festival de Cannes, pendant qu’Abdelatif Kechiche enfermait ses personnages dans une boîte de nuit le temps de son long Intermezzo, Albert Serra faisait à peu près la même chose dans la salle d’à côté. Autre piste, même ambiance ? Pas vraiment. Dans la nature, mais bel et bien prisonniers du cadre, ses libertins chassés de la cour de Louis XVI se retrouvaient en carafe dans un sous-bois. Ici, chacun et chacune s’adonne aux jeux d’une sexualité plus ou moins passive mais sans tabou. Ils se choisissent, s’observent, s’échangent. Habitué des grands sujets (Don Quichotte, les Rois mages, Dracula, Casanova, Louis XIV...), Serra explore à nouveau des mondes enfouis que sa caméra magicienne vient déterrer pour en restituer toute la puissance. Un exercice qui ne s’embarrasse pas de compromis. Tel le Pasolini de Salo et donc lorgnant également du côté du marquis de Sade, le réalisateur montre, sans se pincer le nez ni fermer les yeux, un libertinage jusque dans ses extrémités. Là précisément où la morale nous défend d’aller. Ce no trespassing invite justement à transgresser les interdits. Il ne s’agit pas d’un jeu ni d’une provocation mais d’un geste pur au pays de l’impur. La lumière du film, tout en pénombre coquine, atténue la distance entre eux et nous, créant une étrange – et gênante – promiscuité. Le film semble ne jamais bouger, se contentant d’éprouver le petit espace qu’il s’est créé. La liberté de ce cinéma-là, il convient de la chérir. Film pour un public averti, évidemment.