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Une incroyable réussite qui, en s’emparant d’un sujet grave (l’autisme), impose un peu plus le cinéma de Toledano-Nakache.
Ils ne sont jamais là où on les attend. On avait quitté le duo des surdoués de la comédie française en plein mariage dans Le Sens de la fête, on les imaginait prêts à tourner un nouveau film choral dopé aux répliques choc dont ils ont le secret. C’était bien mal les connaître. Éric Toledano et Olivier Nakache ont choisi de traiter d’un sujet grave : l’inclusion des autistes dans notre société. Et ça commence fort. Dans les rues, Malik course une jeune femme devenue incontrôlable sous le regard inquiet des passants. Dans le métro, Bruno vient au secours d’un jeune homme qui a tiré le signal d’alarme et que des agents RATP réprimandent. Le décor est planté. Les cinéastes ne cachent rien de la réalité. Ils ont tourné avec des acteurs atteints de troubles, ils ont mélangé les vrais éducateurs et les jeunes acteurs. On découvre les autistes, comme on les imagine, en proie à des crises violentes. Mais peu à peu, les réalisateurs nous amènent à changer de regard sur ces jeunes. De sujets objectivés, de « malades », ils en font des individus, des personnalités avec leurs échecs et leurs petites victoires. Et c’est la violence du rejet de la société qui nous saute au visage. On pouvait craindre le cocktail de bons sentiments, de ceux qui nous incitent lourdement à changer, de ceux qui nous font sentir coupables. Il n’en est rien. Car Hors normes, c’est d’abord le récit d’un combat, celui de deux hommes à la tête de deux associations consacrées à l’accueil des autistes. Ces structures existent. Elles s’appellent le Silence des justes et le Relais Ile-de-France. Le film inverse le point de vue et montre que c’est la politique de santé à l’égard des handicapés en France qui est anormale. « Le monde se divise en deux ; ceux qui vous aident et ceux qui ne vous regardent plus. » Cette très belle phrase que prononce Hélène Vincent, qui interprète la mère d’un autiste, résume bien l’état de la prise en charge des cas lourds. La finesse de l’écriture du duo est ici parfaite.
DE L’INTÉGRATION
Elle bénéficie surtout aux deux protagonistes, qui, s’ils sont inspirés de modèles réels (Stéphane Benhamou et Daoud Tatou), n’en demeurent pas moins des personnages éminemment romanesques. Les deux héros ont sacrifié leur vie pour aider les autres. Bruno, toujours entre deux coups de fil urgents, n’a pas pris le temps de tomber amoureux. À 40 ans passés, il se prête, de mauvaise grâce, à des blind dates organisés par son entourage. Ces scènes sont des respirations burlesques dans le récit combatif de sa vie. Vincent Cassel est magistral dans ce rôle : toujours dans l’empathie, le regard doux, sûr de ses paroles avec les autistes et si tendu quand il s’agit de parler aux femmes. C’est une de ses plus belles compositions. Malik – on le sent de manière plus fugace – a plus vu ses enfants au lit qu’à table. Son temps, il le consacre à former des jeunes à qui la société ne donne plus d’espoir et auxquels il propose de devenir leur « référent ». Redevenir quelqu’un en s’occupant des autres était aussi le credo d’Intouchables. Reda Kateb se révèle bouleversant et parvient aussi à faire poindre, tout en délicatesse, l’affection qu’il porte à son ami Bruno. Enfin, Hors normes est un film sur l’intégration. À celle quasi impossible des jeunes autistes, Toledano et Nakache opposent celle qui unit des encadrants de toutes religions et croyances. Bruno, le juif pratiquant, évolue au milieu des femmes voilées. Malik, le musulman, mange cascher dans la cantine tenue par des Loubavitch. La caméra ne s’attarde jamais sur les signes extérieurs de religion, et pourtant, ils sont là, présents. Les cinéastes nous montrent la France telle qu’ils la rêvent, unie dans la différence. S’il y a un message au film, c’est celui-là.
QUESTIONS SÉRIEUSES
Qu’est-ce que la norme ? Doit-on respecter les règles si elles sont aberrantes ? Jusqu’où faut-il rester dans le cadre ? Pour le duo Nakache-Toledano, ces questions sont essentielles et irriguent le film. À travers l’enquête que mènent les inspecteurs de l’IGAS (ministère de la Santé) sur les pratiques un peu hors cadre de l’association que dirige Bruno, ils tirent un fil plus politique qui fait de Hors normes leur film le plus « sérieux » à ce jour. Mais la maturité sociale du duo sait aussi laisser la place à de vrais moments d’émotion grâce, notamment, à l’utilisation de la musique et à l’interprétation du jeune comédien autiste Benjamin Lesieur, issu de la compagnie Les chapiteaux turbulents. Dans son ultime scène, dansée, il offre à ce film la plus belle et plus bouleversante fin dont on pouvait rêver.