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De son destin confisqué à 14 ans dans les camps d'Auschwitz, Zeitz et Buchenwald, le Hongrois Imre Kertész a écrit un livre d'une terrifiante douceur. Cette plongée en sépia dans la barbarie quotidienne réalisée par le chef opérateur Lajos Koltai ne parvient qu'à de rares moments à atteindre la fulgurance de l'insoutenable paradoxe d'être vivant au pays des morts et d'aimer la beauté d'un lever de soleil derrière les barbelés...
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- Fluctuat
Adaptation par Imre Kertèsz de son roman éponyme (Prix Nobel de littérature 2002), Etre sans destin est l'une des oeuvres marquantes de la littérature relative au système concentrationnaire nazi. Le film ne lui rend que partiellement hommage ; il reste néanmoins beau et bouleversant, et évite tout manichéisme primaire.
Il s'agit de la première mise en scène de Lajos Koltai, qui officie habituellement comme directeur de la photographie, notamment sur les films de son compatriote Istvan Szabo. Cette expérience explique le remarquable travail sur les visages. Magnifiquement éclairées, ces faces marquées, crevassées, mutilées ou ravagées, expriment de multiples nuances et une large gamme de sentiments. Elles en deviennent abstraites, grotesques, à la limite du fantastique, presque irréelles. De manière plus générale, Koltai joue adroitement avec les couleurs, du quasi noir et blanc soulignant l'insulte de l'étoile jaune au sépia évoquant la nostalgie du retour.Le choix d'utiliser le hongrois (et non l'anglais), conjugué à l'absence de stars au générique, s'avère juste. Ces options sont paradoxalement contrebalancées par ce soin trop extrême apporté à la lumière et les belles images qui en découlent. On ressent le poids d'un budget conséquent (10 millions de dollars) en décalage par rapport au récit à hauteur d'homme (ou plutôt d'enfant) qu'est le livre, qualifié simplement par son auteur d'«itinéraire d'une âme qui traverse à un moment donné un camp de concentration ». Il n'en reste pas moins un film bouleversant (mais peut-on produire autre chose sur un tel sujet ?), esthétiquement réussi, mais auquel il manque l'envergure du roman.Un drôle de jeu
L'histoire s'inspire de la propre expérience d'Imre Kertèsz. Son héros, Gyuri Köves, surnommé Gyurka (Marcell Nagy, très bon), est un adolescent de 14 ans. Avec d'autres enfants porteurs de l'étoile jaune, il est un jour pris dans une rafle. Commence pour eux une sorte de jeu, angoissant pour qui connaît la suite de l'Histoire, qui ne les affole pas. Ainsi, à l'arrivée du car, vont-ils se cacher derrière le fossé, comme on joue à cache-cache. Plus curieux qu'inquiets, ils vivent l'expérience à la manière d'une récréation impromptue dont ils ne voudraient pas voir les dangers. Quelques plaisanteries fusent, et... les voilà entassés dans des wagons se dirigeant vers Auschwitz-Birkenau. Là-bas, lorsqu'ils doivent décliner leur âge, chacun suit la consigne qui circule dans les rangs à la vitesse d'une antisèche un jour d'examen : « 16 ans ! 16 ans ! » ; car en-dessous, considéré comme inapte au travail, c'est la file perdante, donc la mort. On voit donc Gyurka et son grand regard étonné s'adapter aux situations tel un comédien improvisant un rôle qu'il ne connaît pas au milieu d'une pièce absurde. Il joue puisqu'il le faut.Dans cette première partie, la plus intéressante avec le dernier quart d'heure, l'un des principaux enjeux du livre se révèle clairement : une perception ludique qui n'exclut pas la notion de plaisir (!). Source de polémique à sa sortie, cette idée force du livre ne résiste pas, ici, au quotidien des camps. On la perd largement de vue durant les trois quart du film, pour l'effleurer à nouveau, trop rapidement sous la forme d'un épilogue, reprenant littéralement les dernières phrases du roman. Ce recours à la forme d'origine témoigne de la difficulté et, d'une certaine manière de l'échec, à transmettre cette idée par la voie cinématographique. La tâche était ardue.Hors du temps
Notion relative par excellence, le bonheur se faufilait dans le roman par effraction lors d'une simple pause. Un temps suspendu dans l'horreur. L'acceptation de règles et du tempo carcéral étaient en effet des balises rassurantes qui, à contrario, créaient des plages hors du temps, des moments libres, où l'évasion, le rire, les blagues mêmes pouvaient advenir et ...créer une certaine forme de bonheur, certes horrible, mais un bonheur quand même en comparaison des autres heures de la journée. La dépersonnalisation (les prisonniers sont devenus des numéros) alors à l'oeuvre reposait notamment sur cette idée de temps volé par des hommes à d'autres hommes. Dommage que ces idées ne pointent qu'en toute fin de film, à travers la nostalgie des camps qu'éprouve Guyrka à son retour. Personne ne l'attend et ne veut ou n'arrive à l'entendre. Il n'existe plus. Alors que là-bas, il avait sa place et avait fini par apprendre son rôle. On pouvait l'aider, le voler, le battre. Il existait pour les autres. Ces simples interactions, son fantôme errant dans la ville ne paraît plus pouvoir les générer.Être sans destin est donc un film intéressant. Il souffre de la comparaison avec le roman de Imre Kertèsz, mais mérite largement d'être vu pour ces thèmes, quoique non aboutis, ces qualités esthétiques, même si elles le desservent parfois, et surtout son absence de manichéisme primaire. Il donne surtout envie de se précipiter sur le livre.Etre sans destin
Un film de Lajos Koltai
Adapté du roman éponyme de Imre Kertész.
Avec : Marcell Nagy, Aron Dimény.
Sortie en salles (France) : 3 mai 2006[Illustrations : © Films sans Frontières]
Sur le web :
- Le site du distributeur