Première
par Frédéric Foubert
Le premier essai ciné de Tom Ford, l’inabouti A Single Man, ressemblait pour le styliste superstar à une récréation. Un petit caprice, histoire de se divertir les jambes entre deux collections. Mais Nocturnal Animals est clairement un film d’une autre ampleur. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste – ou, plus précisément, parce que c’est le genre de film susceptible d’être autant adoré que détesté – il confirme qu’on est en présence d’un réalisateur. Un vrai. Ça se voit à l’envie de cinoche qui éclabousse chaque plan, à cette impression d’agressivité sexy qui vous prend immédiatement à la gorge. Dès les premiers plans du générique (une parodie d’art postmoderne où des femmes nues et obèses se trémoussent au ralenti en agitant des petits drapeaux américains), Nocturnal Animals entend générer le malaise, provoquer une onde de choc, chic et glacée. L’action se déroule dans un Los Angeles nocturne au glamour triste, quelque part entre Mulholland Drive et The Neon Demon. Amy Adams incarne une galeriste menant une vie friquée et à crever d’ennui, parmi d’autres californiens riches et célèbres. Tout bascule le soir où elle reçoit le manuscrit de son ex-mari, écrivain frustré, et qu’elle en commence la lecture à la nuit tombée. Un autre film dans le film commence alors : une mise en images dudit roman, thriller texan poisseux où une gentille famille wasp se fait agresser par une bande de rednecks timbrés, et où des acteurs déments (Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Aaron Taylor-Johnson) roulent des yeux furieux. Il y a, enfin, un troisième film dans le film : les flashbacks de la romance passée entre Amy Adams et son ex (qui a aussi la tête de Jake Gyllenhaal), permettant de comprendre que le roman que lit Adams est une manière pour le mari éconduit de prendre sa revanche sur elle. Vous suivez ?
Promesses non tenues
Thriller façon poupées russes, délire méta sur les affres de la création, cauchemar glacé à la David Lynch, post-western cradingue à la Peckinpah, et deux films de vengeance pour le prix d’un… L’appétit de cinéma de Tom Ford est incontestable. Remarquable. Très très voyant. Mais pas irrésistible pour autant… Le problème survient quelque part au milieu de la projection, quand on réalise que le bouquin supposément génial qu’est en train de lire Amy Adams ressemble en réalité à un téléfilm Hollywood Night de seconde zone. Un mauvais roman de gare enfilant les perles. Avec d’admirables stars US en surchauffe, certes, mais quand même : pas grand-chose de plus qu’un revenge movie faussement sophistiqué à l’intrigue cousue de fil blanc (l’enquêteur lessivé, les méchants bouseux, le quidam ivre de justice), agitant des fantasmes de violence aussi cyniques et épate-bourgeois que les images grotesques du générique. Michael Shannon est encore une fois exceptionnel, Aaron Taylor-Johnson franchement divertissant, Gyllenhaal impeccable dans un double rôle très payant (quoique un ton en-dessous des ces perf’ hallucinées de ces dernières années), mais on tique un peu en constatant que la véritable héroïne du film, Amy Adams, n’a pas grand-chose d’autre à faire ici que de tourner des pages en fronçant les sourcils. On sort de Nocturnal Animals avec la conviction paradoxale qu’un cinéaste est né… mais qu’on n’est pas du tout sûr de l’aimer. Moralité ? On est très curieux de savoir à quoi ressemblera le troisième film de Tom Ford.