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Le cinéma de l’argentine Lucrecia Martel, reconnu dans le monde entier (La Ciénaga, La Nina santa, La femme sans tête…) ausculte avec une âpreté matinée d’une sensualité troublante, les doutes d’hommes (un peu) et de femmes (surtout) sur le point de s’ébranler. Il y a chez elle, l’idée d’un mouvement sans cesse retardé mais dont l’inertie fragile va entraîner une implosion (La Ciénaga), un éveil au monde (La Nina Santa) voire un effacement soudain (La femme sans tête). En se plaçant volontairement avant que les choses ne bougent vraiment, les films de Lucretia Martel peuvent être jugés mal aimables voire carrément austères. Paradoxalement, c’est cette force contenue qui en fait toutes leurs richesses dévastatrices. Autant dire que les fans (n’exagérons rien !) attendaient avec une impatience non dissimulée ce
Zama, autour de la figure peu héroïque d’un fonctionnaire attaché à la couronne d’Espagne à la fin du 18ème siècle, perdu dans une colonie d’Amérique Latine à mille milles de toutes terres habitées, donc loin du théâtre des opérations et de sa famille. L’homme rêve de Buenos Aires et attend une mutation sans cesse ajournée. On a ici le prototype même du cinéma de Martel, et pourtant, nous voici avec une caricature qui se repait d’elle-même et n’a dès lors plus rien à offrir que des certitudes vaines. Penser, par exemple, que ce personnage falot qui domine cette histoire de sa pesanteur en solitaire peut suffire à entretenir une tension, est illusoire. Cette volonté pénible de faire de l’immobilisme du protagoniste le programme de tout le film se retourne contre lui. Dommage, car lorsque le cadre s’élargit pour accompagner le départ tant attendu du héros, les fulgurances de la mise en scène (qui évoquent le James Gray de The Lost City of Z) font regretter que le film n’ait pas « débuté » plus tôt....