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Si ça continue, Lenny Abrahamson va devenir un vrai cinéaste en chambre. Après Room, il s’intéresse à une autre histoire claustro, l’adaptation d’un roman gothique de Sarah Waters qui se concentre sur le destin d’un manoir anglais dans l’immédiat après-guerre. La bâtisse est comme la famille qui l'habite : lugubre et traumatisée. Avec un art Woolfien consommé, le cinéaste agite les questions habituelles du genre : Hundred Hall est-elle hantée par la fille de la propriétaire mystérieusement disparue ? Ou bien les événements qui font trembler la maison - une fillette mordue et défigurée par un chien, un incendie, des objets qui se déplacent - sont-ils le fruit du hasard ? On nous souffle bien plusieurs explications (rationnelles ou pas), mais au fond ce n’est pas le sujet du film. Fantôme, hystérie ou malveillance intéressent moins Abrahamson que ce monde anglais corseté en train de s’écrouler. The Little stranger parle d’une société programmée à mourir qui fait un peu de résistance. Le narrateur principal, médecin issu d’une famille pauvre, ne se sent pas vraiment légitime auprès de cette gentry décatie et ce qui commence comme un thriller victorien bascule progressivement dans un beau traité de lutte des classes. Abrahamson observe son héros rouquin (parfaitement campé par Domnhall Gleeson) hésiter à prendre de force le pouvoir sur l’aristocratie en déroute et notamment l’héritière qu’il convoite. Une maison et ses habitants doivent-ils nécessairement être effacés ou violés parce qu’ils sont devenus superflus dans une société qui aspire au changement ?