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Iggy Pop appelle ça la "Post Pop Depression". C’est le titre de son dernier album, mais aussi, plus largement, un slogan censé résumer notre époque, ce monde post-Bowie où les icônes du XXème siècle tombent comme des mouches, où les hommages et les "RIP" émus saturent quotidiennement Facebook, où la pop culture passe son temps à contempler les vestiges de sa splendeur passée. En s’asseyant devant Trainspotting 2 (T2 pour les intimes), impossible ne pas entendre les réflexions philosophiques de l’Iguane bourdonner à nos oreilles. Déjà parce qu’Iggy Pop était l’une des grandes stars du premier Trainspotting, qui avait contribué à faire découvrir sa musique à une nouvelle génération au mitan des nineties. Ensuite parce qu’il y a quelque chose de fondamentalement étrange, has-been, hors-sujet, à remuer les glorieux souvenirs brit-pop de l’année 1996 (souvenez-vous : la rivalité Blur-Oasis ! Le New Labour de Tony Blair ! Kate Moss ! Les Spice Girls !) en pleine gueule de bois post-Brexit. Les temps ont changé, et pas sûr que Renton et ses copains aient grand-chose à dire là-dessus. Le sociopathe rigolo Bebgie annonçait-il Donald Trump ? A-t-on vraiment besoin de remuer tout ça ? Veut-on vraiment retomber dans la Post Pop Depression ?
Fan service
Danny Boyle n’ayant jamais été un réalisateur porté sur la nostalgie (il n’aura filmé dans sa vie que des aventuriers, des explorateurs, des utopistes, des types qui vont de l’avant, de Sunshine à Steve Jobs), il lui faut trois plans (ce qui chez lui dure quelque chose comme un quart de seconde) pour nous faire comprendre qu’il partage nos angoisses, et a justement décidé d’en faire le sujet de son film. T2 Trainspotting jouera donc en permanence sur deux tableaux. Face A : c’est un film de "copains d’avant", de retrouvailles entre potes, où les sentiments se partagent équitablement entre la joie et la mélancolie, quelque part entre Nous irons tous au paradis et Le Dernier Pub avant la fin du monde, mais saupoudré de fan service. Il s’agit ici de prendre des nouvelles des personnages, 21 ans après. Qu’a fait Renton à Amsterdam pendant tout ce temps ? Spud a-t-il fini par décrocher ? Sick Boy est-il toujours obsédé par Sean Connery ? Begbie finira-t-il par se venger de la trahison de Renton ? Et Ewan McGregor, alors ? A-t-il perdu son accent écossais à Hollywood ? Robert Carlyle est-il toujours aussi cool ? Il y a des gens que ces questions intéressent (l’auteur de ces lignes en fait partie) et ce film est pour eux (pour moi). Trainspotting 2, c’est Le Réveil de la Force pour les fans d’Oasis. Un concert de reformation où les vieilles gloires, sur scène, jouent consciencieusement tous les tubes. Puis il y la face B, plus retorse : un film-concept où il s’agit de faire se promener les personnages (et nous avec) dans les souvenirs du premier film, exactement comme le Marty McFly de Retour vers le futur 2 déambulait dans les scènes les plus iconiques de Retour vers le futur, et finissait par tomber nez à nez avec lui-même. Boyle agite et remixe ici TOUS les fétiches de Trainspotting ("Lust for life", "Perfect Day", "Born Slippy", la drogue, le cameo d’Irvine Welsh, les chiottes répugnantes…) et ouvre une faille spatio-temporelle, un précipice qui engloutit tout et qu’il filme avec son habituelle furie stroboscopique, esthétiquement plus proche de Trance, d’ailleurs (couleurs vulgaires et flashy, obsession pour les vitres et les reflets, décadrages zinzin…) que de Trainspotting premier du nom, histoire de démontrer que, pendant qu’on compte nos cheveux blancs, lui devient de plus en plus immature et irresponsable en vieillissant.
Fantômes post-punk
On peut très bien décider que tout ça est totalement vain et passer son chemin. On peut aussi se souvenir que ce vertige temporel était déjà à l’œuvre en 96. Film-totem absolu des nineties, Trainspotting mettait en réalité en scène des junkies végétant dans l’Angleterre 80’s de Thatcher, des fantômes post-punk qui n’allaient pas tarder à être ringardisés par la génération des raves, de l’ecsta et de l’Hacienda de Manchester. On l’a oublié, mais Transpotting était un film d’époque, qui parlait déjà de la morbidité de la nostalgie, de la nécessité de brûler les vaisseaux et de trahir ses amis d’enfance. Danny Boyle en est sans doute plus conscient que quiconque, vu qu’il filme aujourd’hui une réflexion rigolarde sur la crise de la quarantaine, mais qu’il avait DEJA 40 ans au moment du premier film. T2 Trainspotting est donc ce commentaire joyeusement ironique, mais jamais cynique, sur une pop culture en train de se mordre la queue, en boucle perpétuelle sur elle-même, et orchestre dans ces dernières minutes une jolie pirouette méta où vingt années d’obsession culturelle pour Trainspotting semblent se dissoudre dans les limbes du temps. L’ultime plan du film dit tout ça à la perfection, et incite tous les junkies de la nostalgie que nous sommes, les addicts à la mélancolie, à ouvrir les fenêtres et à respirer un bol d’air pur. Mais pourquoi aller voir Trainspotting 2, alors ? Oh, c’est juste en souvenir du bon vieux temps. Un dernier fix avant de décrocher pour de bon.