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Drôle de question pour Kelly Reichardt que celle du “sujet”, à la fois secondaire dans son régime particulier, purement observationnel, se refusant à toute édification sursignifiante ; et en même temps omniprésent dans une œuvre sourdement tramée par les grands thèmes : fondations de l’Amérique (La Dernière Piste, First Cow), condition féminine (Certaines femmes), misère (Wendy & Lucy), écologie (Night Moves)... Ce qui fait de Showing Up peut-être le plus déroutant de ses films : quel est vraiment son sujet ?
Lizzy vit seule, fait de l’administratif dans une école d’art de la périphérie de Portland, sculpte dans son temps libre d’étranges figures féminines mi-dansantes, mi-endolories, et prépare une exposition imminente dans une galerie locale. La vie est douce, dans cet environnement utopique où tout le monde est artiste (sa famille, ses collègues, sa voisine…), et pourtant Lizzie, qui a certes l’excuse de quelques ennuis matériels (pas d’eau chaude, un frère fou, un chat qui miaule tout le temps…), est toujours d’humeur massacrante.
Reichardt en tire un film insituable, à la fois satire douceâtre d’une certaine Amérique baba-privilégiée, chronique dépressive intime, conte absurde voire macabre. Showing Up est d’une grande justesse sur l’espèce de nonchalance irrespirable de cet Hipsteristan, mais aussi d’une vraie drôlerie qui en fait peut-être la première comédie de KR – et surtout son premier “film sur rien”, ou sur des choses aussi ineffables que la contrariété, la quotidienneté, l’inconfort physique et mental, et l’art à l’épreuve de tout cela.