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C’est un film qui vous happe en une poignée de plans créant instantanément une empathie avec son personnage principal dont saute au visage la profonde douleur enfouie que le récit va s’employer à faire remonter à la surface pour la soigner et pourquoi pas la guérir. Une empathie qui fait qu’on est prêt à accepter chaque rebondissement de l’aventure nappée de fantastique que propose Andrew Haigh dans cette adaptation de Strangers de Taichi Yamada. A commencer par ce principe d’aller- retour entre aujourd’hui et les années 80 qui va en constituer la colonne vertébrale dans un geste où film de fantômes et mélo ne font qu’un. Ces voyages dans le temps sont ceux que font d’Adam (Andrew Scott, magistral) vivant dans une tour de Londres que la plupart de ses habitant semblent avoir déserté, à l’exception d’un mystérieux voisin (Paul Mescal, impressionnant dans sa manière d’occuper l’espace tout en s’effaçant) avec qui il va entamer une liaison. Et qui, hanté par les souvenirs de son passé, retourne dans la banlieue où il a grandi pour y découvrir que ses parents, morts il y a 30 ans dans un accident… occupent toujours les lieux, lui permettant une discussion avec eux qu’il n’avait jamais pu avoir. Lui qui n’avait que 12 ans à leur disparition. Cette porosité entre réel et surnaturel ouvre le champ des possibles d’un long métrage impossible à réduire à un seul genre, tout à la fois une chronique familiale, variation autour du deuil, grand film d’amour et œuvre puissamment politique autour de l’homosexualité et la solitude profonde qu’on peut vivre comme enfant queer et qui ne vous lâche jamais. Haigh laisse le spectateur tirer son propre fil pour vivre le récit à sa façon. Mais son extrême sensibilité déjà à l’œuvre dans Week- end, 45 ans et La Route sauvage lui permet de réussir ici un tour de force : une œuvre chaleureuse autour d’un trauma, dénué de toute sensiblerie, peuplée de chansons pop au surgissement déchirant (de The Power of Love à Always on my mind), faisant un sort aux archétypes (c’est ici la mère – campée par une Claire Foy démente - et non le père d’Adam qui a du mal à accepter son homosexualité). On en ressort le cœur serré mais avec une envie immédiate de le revoir et la certitude que chaque vision sera une expérience différente.