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La profondeur de la réflexion de Lee Chang-dong sur la condition humaine, la perte et la folie le situe dans la lignée de Bergman, mais un Bergman qui ne reculerait devant rien et pratiquerait surtout une mise en scène fondée sur l'oxymore. Dans Poetry, ça commence dès le générique. Dès la première minute même, puisque le titre, le mot "poésie" vient s'afficher sur l'image d'un cadavre charrié par les eaux tranquilles d'un fleuve. Tout est dit, et le film est alors lancé sur les rails du mélo, un chant funèbre à la cruauté calme et à la violence sourde, constamment rééquilibré par la pureté et la beauté. Car la force incroyable de Poetry tient dans cette opposition : d'un côté l'horreur et la violence du monde et, de l'autre, la vie de cette vieille femme qui redéfinit son rapport au monde et aux autres à travers la poésie.
Toutes les critiques de Poetry
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Ce film intime et poignant, récompensé par le prix du scénario à Cannes, nous invite à suivre le quotidien d'une grand-mère qui élève seule seule son petit-fils (...). Un magnifique portrait interprété par la star coréenne Yun Junghee.
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"C'est en tombant de l'arbre que l'abricot renait", observe Mija, magistralement incarnée par la star du cinéma coréen Yun Junghee (330 films au compteur !). Ou, exprimé plus trivialement : pour rebondir, il faut parfois toucher le fond. Cet acte politique qu'est la quête du beau dans un monde où la poésie n'est plus lue par personne, cette renaissance inespérée dans la tourmente et l'abîme, l'ex-ministre de la culture coréen Lee Chang-Dong l'exprime avec une économie de pathos assez inouïe. Gorgé d'une sérénité printanière, ce mélodrame déchirant tire sa force tranquille des courants contraires qui la parcourent subtilement, selon l'équilibre harmonieux propre aux chefs d'œuvre.
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Dans Poetry, dont il faut affirmer haut et fort que c'est un des plus beaux films de cette rentrée, Lee Chang-dong capte cela : une femme se débat avec le monde qui l'entoure, s'initie à la poésie et tente d'aider son petit-fils, sans doute responsable du suicide d'une lycéenne. Moments de grâce et de douleur mélangés. L'indicible et la trivialité. Mis en scène avec une sobriété et une justesse incroyables. Les précédents films de Lee Chang-dong, Oasis et Secret Sunshine notamment, en rendaient déjà compte: comment dire les choses de la vie ; comment rendre compte de la futilité et de l'essentiel, surtout quand l'un et l'autre parfois se mêlent ; comment filmer ce choc souvent violent entre ce que l'autre nous impose et notre propre libre arbitre.
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Porté depuis déjà longtemps sur l'humain (ceux qui ont vu Secret Sunshine comprendront), Lee Chang-dong continue à tisser sa magnifique et tendre toile, au gré d'un cinéma épuré, rempli de grâce, et de désespoir mêlé d'amour. Tout à tour naturaliste ou impressionniste, il filme comme on peint une toile, par touches successives, avec la beauté du geste et le talent de ne rien dire pour mieux montrer. Et il révèle Yoon Jung-hee, la plus grande actrice de son pays et -on comprend rapidement pourquoi en la voyant-, à la fois forte et fragile, tendre comme la grand-mère dont on a tous rêvé.
D'où 2 h 20 qui passent comme dans un rêve, avec leurs moments dramatiques, contemplatifs ou même burlesques. Poetry est en cela un grand film de metteur en scène, une petite musique qui vous prend au coeur, qui vous attire et vous émeut. Certains diront que Lee Chang-dong est le meilleur des descendants d'Ozu. C'est en tout cas un auteur à part, essentiel et si unique dans le cinéma d'aujourd'hui. -
Poetry est un des plus beaux films qu'il nous ait été donné de voir cette année, d'une intelligence et d'une puissance émotionnelle remarquables et, avis personnel, le prix du scénario qu'il a remporté à Cannes ne lui rend pas tout à fait justice. (...) Lee Chang-dong a été romancier (deux longues nouvelles publiées au Seuil) et il y a bien, dans Poetry, une architecture de récit très romanesque : la juxtaposition de séquences éparses finit par faire sens, le spectateur est saisi, embarqué dans cette rigoureuse construction dramatique, comme s'il était le lecteur d'un épais roman. Le film répond en un sens, par son classicisme et son humanisme, au brio et à la cruauté de Mother, le film quasi symétrique de Bong Joon-ho, sorti en début d'année. Deux personnages de femme mûre aux prises avec un crime révulsant : l'une arc-boutée jusqu'à la folie sur sa descendance, l'autre prête à racheter l'espèce humaine. Lee Chang-dong cache bien son jeu, mais son film noir et saisissant ne manque pas, in fine, d'une inébranlable foi en l'homme.
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Lee Chang-Dong film avec beaucoup de tact le parcours des mots aux choses désignées, entre parole et bruissements du monde. Le film, de part en part, se construit au film de l'eau, qui est sombrement antirenoirienne, et cruellement langienne : le cadavre d'une vache flotant au début de House by the River.
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En confrontant cette femme aux pires manifestations de la cruauté humaine, et ce jusque dans sa propre famille, il explore avec une grande finesse les détours de l'âme et la difficile quête de pureté, signant un film peut-être moins fort que ses précédents, mais tout aussi fascinant.
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Son parcours est celui, bouleversant, d’une femme "à côté" en quête de dignité dans une société viciée, absurde. Une mamie pastel en butte à l’inhumanité, gracieusement incarnée par Yoon Jung-hee, vétéran du cinéma coréen, et sensiblement filmée par Lee Chang-Dong ("Secret Sunshine"») dont l’intelligence discrète et l’écriture elliptique, qui laisse à chaque spectateur le soin de remplir les blancs, allègent autant qu’elles enrichissent ce drame radieux, prix du scénario plus que mérité du dernier Festival de Cannes.
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Là où le film de Bong Joon ho était tout entier porté par la folie butée de son héroïne, s'ouvrant puis se refermant sur une danse qui était un bug pur et simple, Poetry choisit un accompagnement plus diffus des divagations de Mija.
En cela les deux films ont tout de même en commun de ne saisir, dans l'argument du crime, que le prétexte à une observation mi tendre mi critique de la condition d'une femme coréenne mûre d'aujourd'hui. Mija émeut surtout par sa forme d'absence - excédant le seul domaine pathologique - au caractère pesant de sa situation. L'urgence qu'il y a bel et bien à réunir l'argent ne l'empêche pas de s'occuper avec plus de soin encore de son petit-fils, comme si le drame, pourtant traité comme tel, venait paradoxalement accentuer, préciser l'attention à toute chose. La conclusion du film est en cela particulièrement parlante, l'ambition de la vieille dame de parvenir à écrire ces fameuses lignes de poésie se raccordant sans surprise mais avec grâce à l'expérience de vie dont elle sort à peine. Le cinéma de Lee Chang-dong serait sans doute à considérer essentiellement s l'angle de cette limpidité esthétique et morale, cette foi dans les vertus d'un symbolisme sans naïveté : rien n'accorde le droit de sourire, mais tout amène pourtant à se convaincre que cette gravité, ce désenchantement sont aussi la condition d'un accomplissement, d'un juste accueil de sa destinée. -
Le film est à son meilleur quand il est allusif, quand sa poésie est générée par la pure mise en scène : un travelling sur un cours d’eau, une rime chromatique entre des fleurs et les tenues vestimentaires du personnage, un gros plan de visage traversé par une émotion.
En revanche, les séquences sur les ateliers de poésie sont très littérales. Le professeur qui énonce sa théorie de la poésie et de la beauté est à l’évidence un double du cinéaste, qui livre ainsi trop directement sa conception du cinéma.
L’aspect propret et appliqué des étudiants amateurs de poésie renforce le sentiment induit par ces scènes-là que le film traite son sujet de façon trop scolaire et volontariste. Comme si Poetry portait en lui un appareil théorique conscient, certes pas inintéressant en soi, mais qui est par essence le contraire même du surgissement poétique, mystère qui ne se décrète pas.
Ce surgissement poétique, échappant en partie à la maîtrise du cinéaste, c’est l’actrice Yoon Jeong-hee. Elle était une star des années 60-70, la Deneuve ou la Huppert du cinéma coréen. Poetry suffit à démontrer qu’elle est une immense actrice, une machine poétique à elle seule, capable de surprendre à chaque plan. -
Malgré un prix du scénario à Cannes pour son récit subtil et audacieux, le film a fait un bide en Corée. « Avant même de tourner, on m'avait prédit un échec commercial, ironise le réalisateur d'Oasis et de Secret Sunshine. Mais j'avais envie de relever ce défi. »
Pour autant, Poetry n'est pas un film « poétique » à proprement parler : rien de méditatif ou d'onirique dans cette histoire qui déploie toute la palette des sentiments humains. « La poésie n'est pas qu'une jolie petite fleur, prévient Lee Chang-dong. Pour moi, c'est le monde, la vie. Malgré la saleté, la laideur extérieure, il y a toujours quelque chose qui est beau à l'intérieur. »
A la comédienne Yun Jung-hee, ancienne star des années 1960-1970, le cinéaste a demandé de « se mettre dans la tête d'un élève naïf qui pense qu'un maître est si parfait qu'il n'a pas besoin d'aller aux toilettes ». Résultat, le film ne manque pas de candeur et d'excentricité. « La poésie est partout, et surtout en chacun de nous », se justifie Lee Chang-dong. Comme une lueur d'espoir dans un mélo qui, par délicatesse, refuserait de faire couler trop de larmes, trop facilement. -
Prix du scénario cette année à Cannes, « Poetry », joué par l’équivalent féminin de Depardieu en Corée du Sud, est un film aussi léger que puissant. Il effleure, il cogne. Mais ce qui laisse KO au final, c’est cette façon de marier le drame et la douceur. Comme les plus grands poèmes, ce film nous laisse à jamais l’empreinte de sa bouleversante délicatesse.
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Ce joli conte moral débouche tout naturellement sur l’acceptation de la beauté et de la laideur du monde (et elle acceptera aussi l’arrestation du gamin) et bien sûr de la mort. Mais tout cela LEE Chang-Dong se contente de le suggérer et c’est dans sa modestie presque laborieuse que réside la beauté de son film.
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Lee Chang-dong s'attache à l'humain, aux choix qui déterminent une vie. Parce qu'elle est faillible, l'héroïne provoque la compassion. Un rôle écrit pour Yun Jung-hee, une légende en Corée depuis les années 60, désarmante de justesse dans ce mélodrame qui captive malgré son rythme lent.
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Le cinéaste coréen se montre d'une infinie sensibilité dès lors qu'il suit sa comédienne, dont la grâce fragile et la finesse de jeu font le prix de ce film exigeant.