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Qui est ce « nous » qui semble hanter le documentaire français ces temps-ci ? Après Nous d’Alice Diop qui avançait habilement entre propos fédérateur et autopsie clivante, voilà donc Notre corps de Claire Simon, avec cette première personne du pluriel qui est aussi première personne très plurielle. Ici, ce qui se joue est autant collectif qu’intime. Mais le mystère ne durera pas longtemps. Claire Simon a posé sa caméra à l’hôpital Tenon de Paris pour enregistrer des consultations entre patients et docteurs. Assemblage de petites histoires (qui vont de l’avortement à la naissance, de la mort à la transition de genre), le film montre la violence que subit le corps des femmes. Centré sur la parole des médecins et le corps féminin mis à nu, Notre corps rappelle d’abord Wiseman ou Depardon dans sa manière de disséquer une institution et de transformer des expériences individuelles en tapisserie universelle. C’est classique et très émouvant. Jusqu’à ce que, au beau milieu du récit, le réel reprenne ses droits. Dans un twist vertigineux, Claire Simon délaisse la caméra et passe à l’écran. On découvre qu’elle est atteinte d’un cancer et c’est elle qui se met à répondre au médecin, elle qui accepte de se mettre torse nue pour un examen clinique. Elle qui verse des larmes à l’annonce du diagnostic… Quand elle apparaît, le « nous » du début, qui portait le propos de manière forcément distante, devient un « nous » tout personnel. Et la puissance de ce documentaire se retrouve tout à coup décuplée.