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L’an dernier sortait un remarquable documentaire, The Ride, qui suivait la chevauchée de cavaliers sioux sur la trace de leurs ancêtres massacrés par les Blancs. Quel(s) rapport(s) avec ce qui nous intéresse aujourd’hui ? Il y en a plusieurs : les chevaux, la relation à l’Americana, la nationalité française de la réalisatrice, Stéphanie Gillard, une femme elle aussi exilée aux États-Unis pour son premier film de cinéma... À l’aune de ce joli précédent, Nevada semblerait confirmer, sinon une tendance, une convergence de vues et de personnes. Pur produit de Sundance, où son court métrage Rabbit (matrice de Nevada) fut sélectionné et où elle obtint une bourse d’écriture pour son premier long, Laure de Clermont-Tonnerre pousse la singularité un peu plus loin que sa consœur. Nevada a carrément été adoubé par Robert Redford, producteur exécutif du film, qui y a décelé une connexion forte avec son univers : l’amour des grands espaces, le goût pour la rédemption en osmose avec la nature, tout ce qui était au cœur de Milagro, Et au milieu coule une rivière et, surtout, de L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux avec lequel Nevada entretient une ressemblance troublante, bien que le contexte de l’intrigue soit différent.
FIGURES IMPOSÉES
Détenu dans un établissement de haute sécurité situé en plein désert du Nevada, Roman est doublement prisonnier : du lieu et du mutisme qu’il observe envers ses codétenus et sa fille, qui lui rend visite régulièrement dans l’espoir d’un geste, d’un début d’empathie pour ses problèmes personnels. Roman semble perdu, pour lui-même et pour les autres lorsqu’on lui propose un programme de réhabilitation sociale consistant en du dressage de chevaux sauvages, les fameux mustangs (le titre original est d’ailleurs The Mustang). D’abord réticent, d’autant que les canassons sont aussi peu sociables que lui, Roman va peu à peu s’ouvrir à la vie sous le patronage viril du directeur du programme, campé par un Bruce Dern plus redneck que jamais. Comme dans L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, ce n’est pas tant le résultat –assez prévisible, convenons-en– que la manière qui importe ici. Sur ce point, pour ses débuts, Laure de Clermont-Tonnerre impressionne. Elle s’acquitte ainsi parfaitement du cahier des charges du film de prison, avec ses rapports de force musclés, ses espaces confinés, ses scènes de cantine ou d’intimidation, passages obligés du genre. Elle peut compter sur la présence minérale de Matthias Schoenaerts, presque trop taillé pour le rôle, à qui elle offre néanmoins, le temps d’une scène déchirante, l’occasion de prouver qu’il n’est pas qu’un bloc de muscles, à l’instar de ce qu’avait obtenu de lui Jacques Audiard dans De rouille et d’os.
FIGURES LIBRES
La comparaison avec Audiard ne s’arrête pas à la direction d’acteurs. Comme lui, la jeune réalisatrice n’a pas son pareil pour créer ponctuellement une atmosphère étrange où le lyrisme le dispute au fantastique ; où le récit prend des libertés avec les contingences réalistes pour nous emmener ailleurs –l’ailleurs mental du héros, celui du lieu, chargé du passé violent de la conquête de l’Ouest. L’élément déclencheur de la catharsis du héros prend par exemple la forme d’un incendie spectaculaire auquel Laure de Clermont-Tonnerre confère une dimension mythologique par la seule force de sa mise en scène au plus proche des flammes destructrices, et des chevaux et des hommes, indissociables forces de vie. Nevada n’est pas qu’un film de prison de plus ou le simple témoignage de convictions humanistes et écolo. C’est peut-être l’acte de naissance d’une future grande cinéaste.