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Le Portugais João Pedro Rodrigues est un cinéaste audacieux qui n’aime rien tant que jouer avec les genres. Les genres cinématographiques, bien sûr : son dernier opus en est l’illustration, à la fois film de guerre et mélo, récit onirique et chronique sociale, oeuvre musicale et expérimentale. Mais aussi d’autres, sexuels ou sexués, bons ou mauvais. À travers le portrait bouleversant de Tonia, ex reine des nuits travesties lisboètes en proie à de multiples tourments, c’est à une vertigineuse méditation sur l’identité que se livre le réalisateur. Qu’il filme des soldats menant un assaut de nuit dans une forêt ou les spectacles transformistes de Tonia, qu’il joue la carte du réalisme sombre ou celle du conte coloré, Rodrigues le fait avec une sensualité qui a pour effet de renforcer le trouble des spectateurs. Une expérience aussi étrange que mélancolique.
Toutes les critiques de Mourir comme un homme
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Mourir comme un homme se présente donc comme un film-charnière, qui tourne une page pour en ouvrir une autre. Le recto et le verso : ) la fois le chant du cygne et un renouveau.
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Mourir comme une homme, mais vivre comme une femme. Avec son pull rouge, ses talons hauts et ses cheveux blonds platine, au bord d'un cours d'eau sauvage, Tonia n'est pas grotesque. Elle fait penser à Marilyn dans La rivière sans retour, d'Otto Preminger. Sans retour en effet, est le chemin qu'elle a emprunté en héroïne tragique. En guise de lait, la silicone coule de ses seins meurtris. Ne lui restent que les larmes pour pleurer, et la voix pour chanter. Rodiguez la montre avec tendresse, non pas dans la théâtralité qu'on prête habituellement aux show travestis ou trans, mais rêveuse et solitaire, chuchotant de déchirantes ballades dans sa voiture, le visage collé à la vitre mouillée.
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L'identité sexuelle, le désir, la solitude et la religion, thèmes récurrents de son oeuvre, étayent le troisième film de João Pedro Rodrigues, où l'auteur des sublimes O Fantasma et Odette perpétue, avec cette flamboyance vénéneuse et mortifère qui est sa marque de fabrique, la passionnante veine mélodramatico-surréaliste de son cinéma.
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Le film, de loin le plus mélancolique de son auteur, se pose d’emblée dans l’après – après la gloire (Tonia est concurrencée par un travesti plus beau, plus jeune), après la passion (son couple bat de l’aile). Les personnages sont fatigués, las, à bout de souffle (le fils déserteur de Tonia). Leur glissade vers la mort, inéluctable, s’accompagne de langoureux travellings qui donnent à l’ensemble un air de marche funèbre. Une marche colorée, cependant : chez Rodrigues, on le sait, la mort, pour tragique qu’elle soit, n’est jamais une ligne droite, à sens unique. Et toute la beauté du film est de faire de cette élégie un chemin vers la joie.
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Mourir comme un homme est un opéra baroque, du Mozart d'aujourd'hui où les bonnes fées de la nuit offriraient à Tonia - Tamino une flûte enchantée lui permettant de charmer et dompter tous les monstres qui menacent son existence. (...) Sur sa tombe, on aimerait bien graver une épitaphe : "Ci-gît l'amour, corps d'homme et coeur de femme".
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Dans Mourir comme un homme, la rutilance plastique - Hollywood de studio - n'entre en contradiction ni avec l'économie underground très années 70 - cinéma de recherche qui aimait l'allégorie -, ni avec la factualité documentaire. Le film s'équilibre par ses rimes internes, comme un poème.
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« Mourir comme un homme » n’est pas un film confortable certes, mais engagé et courageux. Servi par de remarquables comédiens, le film ambitieux et sensible, est souvent bouleversant : lorsque l’on aperçoit les cicatrices d’une intervention chirurgicale sur un torse masculin usé et vieilli presque christique ou quand chante le fantôme de Tonia, mort en homme et en père, dont la voix s’élève au-dessus d’un cimetière et de la grande ville au loin. Une œuvre exigeante et sensible, une magnifique invitation au respect des différences. Nul doute que le cinéaste de « Tout sur ma mère » enviera ce film venu du Portugal.
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L'extraordinaire est que tout cela, qui semble sur le papier prêter à rire ou à invraisemblance, trouve à l'écran sa juste place, dans un film d'une composition plastique remarquable et d'une sensibilité triviale et poignante. Commencé hors des sentiers battus, Mourir comme un homme finit insensiblement par les rejoindre pour suggérer au spectateur que rien de ce qui est humain ne saurait lui être étranger. Cette leçon d'anti-nature est assez belle, et distrait par surcroît de l'écologisme ambiant.
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Dans sa mise en scène, João Pedro Rodrigues commet quelques péchés d'orgueil : un long prologue trop loin du vrai sujet, des digressions chichiteuses. Mais certaines idées sont fulgurantes. Comme le déterrement, au sens littéral, dans le petit jardin du couple, de vieilles photos dévoilant l'apparence originelle de Tonia et l'enfant dont elle est le père : des images qui resurgissent au moment où se profilent des adieux, où une boucle se referme. La logique des rêves et de l'inconscient s'impose alors dans cette histoire plus proche des ténèbres de Mulholland Drive que des spotlights de Priscilla, folle du désert. Les sursauts tardifs et bouleversants des personnages, comme la trajectoire entière de Tonia, célèbrent sans espoir, mais avec éclat, l'utopie d'être multiple dans le carcan d'un seul corps ou d'une seule vie.
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C’est à la fois beau et naïf, trop long et généreux, agaçant et émouvant. Vivre comme une femme ou mourir en homme ? Le dilemme est douloureux, mais le film est sympathique, chaleureux, et possède une vraie force de conviction : à chacun sa morale, nous ne sommes pas là pour juger.