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Un film d’animation complètement psychédélique, affolant visuellement, qui vous retourne le cerveau … On sait qu’on vous fait le coup souvent. Dans le cas du Royaume des abysses, c’est pourtant vrai à 100, à 150, à 200 %. A tel point qu’on commencera par vous conseiller, une fois n’est pas coutume, de découvrir le film en version française. En fait, on insiste même pour que vous le voyez en VF, et en 3D en plus pour faire le combo gagnant. Si le relief - du moins dans la version que nous avons vue lors de sa projection pour la presse- semble provoquer un léger assombrissement de l’image, l’absence de sous-titrage vous garantira que votre regard ne sera pas détourné par l’apparition d’un texte parasite à l’écran, et vous serez, on l’espère, dans la meilleure configuration pour vous immerger dans ce Royaume des abysses. « Immersion », oui, encore un cliché de journaliste qui correspond au film, et pourtant, on n’avait pas vu ni ressenti cela depuis l’Avatar : La Voie de l’eau de James Cameron il y a plus d’un an. La sensation que le film raconte à la fois un monde, et le mouvement d’exploration de ce monde. Et que le pauvre spectateur se retrouve précipité dans un autre univers par le son et l’image : « travelling without moving », comme on dit dans Dune.
Le Royaume des abysses accomplit cet exploit en prenant le risque du grotesque et de l’excès. Nous suivons l’aventure d’une jeune fille tombée par-dessus bord pendant une tempête lors d’une croisière en mer avec ses parents, et qui devra travailler au service d’un cuisinier complètement fantasque, dans un restaurant-bateau peuplé d’animaux bizarres. La ressemblance avec Le Voyage de Chihiro est une fausse piste : si le film partage effectivement des éléments clefs avec le classique de Miyazaki, Le Royaume des abysses voyage très vite vers la folie visuelle, le chaos parfois total, à travers son autre centre de gravité : non pas la pseudo-Chihiro mais le personnage de Nan He, cuistot dingo, improbable mélange entre le Joker et Sanji de One Piece. Sans trop spoiler, Le Royaume des abysses oscille ainsi entre ces deux personnages réunis par un drôle de secret -car oui, il y a quelque chose de révélé dans le film, mais l’intention de cette révélation vient assez vite dans la narration, et n’importe quel spectateur attentif saura la décrypter.
La folie visuelle du film ne sert pas de cache-misère à un sujet famélique, ou ne se réduit pas à une séquence fabuleuse paumée au milieu d’une aventure de fantasy déjà vue mille fois. Ce qui nous fait d’autant plus regretter que Monkey King : Hero is Back, le précédent et premier film de Tian Xiaopeng adaptant une nouvelle fois la légende du roi-singe, soit toujours inédit en France malgré une présentation à Annecy en 2015 mais ne gâche évidemment pas une seconde du spectacle et du vent de folie proposé par ce Royaume des Abysses où sitôt passé le prologue animé de façon photoréaliste, le grand huit se déclenche pour de bon et la course ne ralentira à peine que le temps de son épilogue, réellement bouleversant – un conseil plus qu’essentiel d’ailleurs en passant : restez bien pendant tout le générique, qui vous permettra non seulement de voir une scène supplémentaire mais aussi de pouvoir reprendre un peu pied avec la réalité. Donc, soyez prévenus, si le film parvient à repérer ne serait-ce que la moindre petite faille en vous, il en profitera pour y pénétrer et tout bouleverser. Pas besoin d'avoir une grosse fissure, ceci dit : il suffit juste d'ouvrir les yeux.