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Pour
L'état de délabrement du système hospitalier français et la crise des Gilets Jaunes. En embrassant ces deux thématiques, le nouveau Catherine Corsini s'inscrit de plein pied dans une tendance lourde du festival 2021: les films à sujet. Restait à connaître la manière dont elle allait s'en emparer. En misant tout sur le sujet et prenant garde à ce que rien ne dépasse comme dans Lingui ? Ou en le fracassant dans tous les sens quitte à hérisser le poil de certains façon Le Genou d'Ahed ? Spoiler: ni l'un ni l'autre. C'est plutôt chez Tout s'est bien passé de François Ozon qu'on peut trouver une sorte de cousinage. Dans cette idée d'embarquer des tragédies humaines vers la farce. Habituée à un cinéma moins tonitruant (La Répétition, La Belle saison), Catherine Corsini fend ici l'armure et ça lui va bien !
Evidemment Corsini filme le manque de moyens des urgences, l'état de délabrement des locaux, l'engagement sans faille d'un personnel trop clairsemé face au travail herculéen à accomplir. Mais si elle ne filmait que ça, La Fracture n'aurait guère d'intérêt. Il ne ferait que raconter mollement ce que tant de reportages ont montré. En mettant cette dessinatrice et ce routier au centre de son film, Corsini le déporte. Et ose créer rires et fous rires au milieu du chaos. Comme une libération mais aussi une manière de montrer que dans ce lieu, tout le monde est au bout du bout du précipice. Valeria Bruni- Tesdechi propose une interprétation franchissant allègrement les limites du borderline, dans un surrégime parfaitement maîtrisé. Là encore, le geste n'est pas sans risque. Les compositions extrêmes ne semblent guère en cour chez le festivalier cannois 2021. Et pourtant ça marche. Est ce que La Fracture raconte des choses qu'on ne savait pas ? Répondre par l'affirmative serait mentir. Mais par sa direction d'acteurs et son parti pris d'inviter la comédie dans le chaos, Corsini fait ressentir phyiquement cet After hours qui se répète soir après soir. Le résultat n'est pas parfait. Mais ce sont précisément ces imprécisions, son refus de rester sagement dans le cadre qui permettent à Catherine Corsini de signer film le plus passionnant à ce jour.
Thierry Chèze
Contre
La violence (sociale comme policière) tiendrait-elle seulement à notre incapacité à nous écouter, à entendre nos individualités et nos opinions ? Alléchante théorie centrale de La Fracture, comédie teintée de social - ou film social fourré à la comédie, c'est au choix - dans lequel Catherine Corsini tente de dresser le portrait d'une France divisée, à travers des personnages de bourgeois (Marina Foïs et Valéria Bruni-Tedeschi) et de prolos (notamment Pio Marmaï en routier gilet jaune qui s'est pris une grenade de désencerclement). Tout ce petit monde se croise le temps d'une nuit, au cœur d'un service des urgences parisien exsangue, tandis que dehors les manifestants et la police en décousent. Alors ça se confronte, ça gueule (beaucoup, pour tout et n'importe quoi) et ça se juge dans les couloirs d'un hôpital en manque de soignants pour traiter tout le monde. Un chaos toc, artificialisé par des péripéties improbables (une prise d'otage ! Les urgences gazées par les flics !) et des ruptures de ton qui ne propulsent que trop rarement le scénario. Quelques punchlines émergent quand même (« Du haut de mon âge tu sais ce que je te fais ? Je t'encule à sec ») de ce huis clos caricatural qui ne tient pas ses promesses, très occupé qu'il est à contempler sa supposée pertinence. Sauvons le casting - Marmaï et Foïs font comme toujours parfaitement le boulot -, dont Valéria Bruni-Tedeschi qui met le potard à 11, et dont on serait bien incapable de dire si elle franchit la ligne jaune ou si elle est authentiquement géniale.
François Léger