Première
par Elodie Bardinet
En 2015, Jurassic World démontrait que 22 ans après le succès de Jurassic Park, la fascination des spectateurs pour les dinosaures était toujours intacte. Amassant 1,6 milliard de dollars de recettes, le blockbuster de Colin Trevorrow, mi-suite mi-remake de l’original de Steven Spielberg, a cartonné malgré des critiques mitigées. Sans surprise, Universal a rapidement lancé un nouvel opus. Le studio a même directement annoncé une trilogie, et Fallen Kingdom, qui sort cette semaine au cinéma, est donc l’épisode du milieu, qui doit consolider ce qui a été inauguré avec Jurassic World tout en introduisant les enjeux du dernier film et en respectant l’œuvre originale. Un défi en partie relevé par Juan Antonio Bayona, qui succède à Trevorrow à la mise en scène, même si celui-ci est toujours au scénario.
L’intrigue de Fallen Kingdom est globalement son point faible. Proposer des réflexions écologiques au cœur d’un blockbuster d’une telle ampleur, c’était pourtant osé sur le papier, mais la mise en place des enjeux est laborieuse. Considérant qu’ils devraient être protégés comme toute espèce menacée, Claire (Bryce Dallas Howard) veut libérer les dinosaures d’Isla Nublar avant que l’île ne disparaisse lors d’une catastrophe naturelle annoncée. Elle refait alors appel à Owen (Chris Pratt), le dresseur du raptor Blue, pour en récupérer un maximum et les transférer en lieu sûr, où ils pourront vivre en liberté loin des hommes. Evidemment, le sauvetage des créatures ne va pas se passer comme prévu. L’histoire bascule ensuite vers d’autres problématiques traitées sans finesse : les dangers des manipulations génétiques et l’amoralité des hommes. Puis, elle ouvre grand les portes à l’ultime épisode, qui sera à nouveau réalisé par Colin Trevorrow et sortira en 2021.
Si le duo d’acteurs est moins cliché que dans le premier opus -on ne peut pas en dire autant de leurs nouveaux acolytes, Zia et Franklin-, leur relation reste au second plan tant les enjeux écologiques sont appuyés. Ils sont régulièrement répétés tout au long de l’intrigue, notamment par le Dr Ian Malcolm, qui revient, toujours incarné par Jeff Goldblum, pour avertir l’humanité du danger encouru si les dinos restent en vie. Totalement écrasantes, ces réflexions morales coupent court à toute tentative d’humour, donnant au film un ton étonnament sérieux pour un divertissement de ce type. C'est d'autant plus frappant que le précédent opus jouait à fond la carte de l'ironie en se moquant de façon décomplexée de son concept.
Restent quelques jolis clins d’œil à la première trilogie de Jurassic Park. Surtout au Monde perdu (1997), puisque les bestioles finissent par semer la terreur en société, comme le T-Rex à la fin du deuxième film de Spielberg, et que les héros doivent tenir tête à des soldats qui n’ont que faire de la cause animale. La séquence sur la verrière est également construite comme celle avec Julianne Moore et Jeff Goldblum dans la caravane tombant de la falaise, la tension montant crescendo au fur et à mesure que le verre craquelle.
Visiblement très influencé par le travail de Steven Spielberg (surtout dans The Impossible, son drame familial sur le tsunami de 2004), Juan Antonio Bayona parvient à lui rendre hommage, tout en insufflant son propre style au sein de ce blockbuster au cahier des charges pourtant bien rempli. S’il croule sous les pressions scénaristiques, sa mise en scène est parfois grandiose : la fuite des hommes et des dinosaures lors de l’irruption volcanique et les attaques nocturnes dans le manoir/musée sont visuellement bluffantes. Le meilleur exemple ? Lorsque le réalisateur revient quelques instants à l’ambiance horrifico-poétique de son chef-d’œuvre, L’orphelinat, en filmant une nouvelle créature s’introduisant dans la chambre d’une fillette par un jeu d’ombres chinoises à la fois beau et terrifiant. Un vrai cauchemar d’enfant retransmis à l’écran ! Grâce à Maisie, sa petite héroïne jouée par Isabella Sermon, il peut d’ailleurs offrir de beaux passages d’émotion et de douceur entre deux poursuites haletantes. C’est malheureusement trop furtif pour être aussi bouleversant que dans ses précédents films (Quelques minutes après minuit en tête).
Même si le monde de Jurassic Park a perdu de son effet "wow" au fil des suites, Juan Antonio Bayona marche sur les traces de son modèle Steven Spielberg avec respect. Dommage que ce soit au cours d'un long métrage davantage pensé comme un épisode transitoire que comme un film phare de la saga.