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Rupert Sanders livre les visions fabuleuses du manga original aux enfants d’aujourd’hui
Futur proche. Une mégalopole. Perchée en haut d’un building, une jeune femme se branche sur un réseau électronique pour espionner une réunion entre diplomates et affairistes en tous genres. Sa cible repérée, elle arme son revolver et se laisse tomber dans le vide pour pulvériser une baie vitrée…. Toute l’efficacité du style de Rupert Sanders est dans ce plan vertigineux, où se déploient la froideur envoutante, le choc et les visions fulgurantes de ce qui s’annonce. Qui est cette femme « incarnée » par Scarlett Johansson dont on va vite comprendre qu’il s’agit d’un robot cop ? De quoi est fait cette arme redoutable, le Major Kusanagi, femme-robot et flic impitoyable ? C’est la question qui agite ses collègues de la section 9, une unité d’élite censée traquer les cybercriminels. Lorsque le groupe part à la recherche d’un mystérieux terroriste qui élimine des scientifiques, ils remontent vite vers le groupe industriel à l’origine de la construction du Major. Et le polar à la Blade Runner se mue en fable cyber foisonnante…
Blockbuster sous acide
La première scène oblige à plonger dans le vide, dans les profondeurs et les circuits (de la ville, des cyborgs et des ordinateurs) à la suite du Major-Scarlett. Fouiller les arcanes, revenir à l’origine, creuser. C’est la promesse de cet introït ; c’est l’objet du film et la quête de l’héroïne. C’est par là que tout doit commencer. A la base, il y a donc le manga de Masamune Shirow, devenu grâce aux visions de Mamoru Oshii un film (Ghost in the shell), une suite encore plus vénéneuse (Innocence) et une série (Stand Alone Complex) cultes pour les amateurs d’animés, mais relativement inconnus en dehors de ce cercle restreint. Sanders a repris les bases de ces splendeurs empoisonnées pour en livrer une version live qui décalque certaines scènes plan par plan (le spider tank, l’intro…) pour mieux s’en détacher et proposer sa vision propre. Ghost in the shell est comme ses modèles (BD et films), un grand remix décadent et popculturel qui croise L’Eve future de Villiers de L’Isle Adam et les marionnettes de Kleist, Descartes et Robocop… Mais upgradé, rutilant et modernisé. Comme les récentes adaptations des dessins animés Disney live censées faire vivre le catalogue Mickey et le faire découvrir à une nouvelle génération, Sanders façonne 2h de pur shoot visuel pour les kids mondialisés qu’il livre à ses visions de SF fabuleuses. Imaginez un clip qui synthétiserait l’œuvre entière de Derrida ; pensez à un blockbuster efficace et sous acide… vous aurez une bonne idée de GITS.
C’est beau, hallucinant et halluciné, mais pas seulement. GITS nouvelle génération entend aussi reposer les questions philosophiques et obscures des œuvres originales de manière simple ; en gros, être un film hollywoodien doté d’une âme. Et on bascule donc très vite dans le vertige existentiel mais tout public. Qui suis-je ? Quel est mon vrai moi ? Autant de questions que se pose Kusanagi. Le Major a des émotions, des souvenirs, des pensées qui lui sont propres mais tout cela est-il bien réel ? On remerciera Sanders de nous épargner le symbolisme puéril qui gangrène les blockbusters ou les séries SF d’aujourd’hui ou pire d’asséner une philosophie prépubère gavante… Le cinéaste se colle à son odyssée existentielle avec sérieux et même une certaine poésie. Derrière le questionnement philosophique (humain trop humain ? Cyborg trop cyborg ?) qui n’empêche jamais la puissance émotionnelle de s’installer (le rapport du Major à Batou, le seul à lui rappeler son humanité) ce que chuchote le film c’est que, qu’il s’agisse de simples humains ou d’intelligences artificielles, le seul critère d’évolution valable est là : sommes-nous capables d’amour ?