Toutes les critiques de Cuban Network

Les critiques de Première

  1. Première
    par Christophe Narbonne

    Il y a deux Olivier Assayas : celui des grands drames familiaux et intimes (Les Destinées sentimentales, L’Heure d’été) et celui des thrillers poisseux et brutaux (Demonlover, Boarding Gate). Les deux ne sont pas forcément antagonistes, la cruauté feutrée des uns faisant écho à la violence viscérale des autres. Cuban Network s’inscrit pour sa part dans la lignée de Carlos, le film-somme d’Assayas qui conjugue son goût du romanesque, de la politique-fiction et de la violence révolutionnaire. Là encore, il s’inspire de figures existantes, en l’occurrence celles des « Cinq de Miami », des agents cubains du réseau Guêpe infiltrés au sein de la Fédération nationale cubaine-américaine (FNCA), une organisation anticastriste implantée aux États-Unis. Assayas choisit de concentrer son récit sur deux d’entre eux, Gerardo Hernandez (Gael García Bernal) et, surtout, René Gonzalez (Édgar Ramírez). L’histoire de ce dernier est sans doute la plus mélodramatique. Pilote, il « fuit » son île en 1990 pour rejoindre Miami, à l’insu de son épouse Olga (Penélope Cruz), qui n’apprendra son rôle réel qu’en le rejoignant sur place, sept ans plus tard, avec leur fille. Dans l’intervalle, René rencontre José Basulto, un activiste anticastriste qui va utiliser ses compétences pour porter secours aux exilés cubains perdus en mer. René fait notamment équipe, à partir de 1992, avec Juan Pablo Roque (Wagner Moura, l’inoubliable Pablo Escobar de la série Narcos), un lieutenant-colonel de l’armée de l’air cubaine, lui aussi agent double.

    ENTRE DEUX EAUX
    Cuban Network tient moins de la fresque criminalo-politique (type Romanzo criminale ou Gomorra) que du thriller manipulateur où les masques sont condamnés à tomber. Il lorgne davantage du côté des Infiltrés de Scorsese sans la hargne ni l’ambiguïté. René Gonzalez y est montré comme un bon soldat (comme l’était Matt Damon), guidé par la foi révolutionnaire mais pas prêt à vendre son âme à n’importe quel prix – y compris pour faire venir sa famille à Miami. C’est l’anti-Carlos, en somme, qu’Édgar Ramírez incarne avec une bonhomie inversement proportionnelle à la rage caractérisant le terroriste qu’il avait précédemment joué pour Assayas. Le rôle le plus excitant est en définitive dévolu à Wagner Moura, qui interprète avec voracité Juan Pablo Roque, cet agent flamboyant et amoral qui négocia à prix coûtant des informations au FBI et épousa en grande pompe une femme divorcée pour mieux l’abandonner sans explication, du jour au lendemain. Tiraillé entre ces pôles contraires, entre la glace et le feu, Cuban Network peine à trouver une unité de ton que lui confère cependant la mise en scène d’Assayas. Tour à tour caressante et électrique, voire majestueuse (les séquences aériennes), sa caméra stylo apporte un semblant de cohérence à une partition pour le moins dissonante.

    AMBIGUÏTÉ POLITIQUE
    Carlos était une critique en règle du terrorisme d’origine marxiste dilué dans le culte de la personne. L’anar Assayas, qui n’est pas à une contradiction près, démontre cette fois que le régime répressif castriste a eu raison d’infiltrer le voisin et ennemi américain pour mieux se protéger. Une théorie recevable dans la mesure où, par leurs opérations terroristes (couvertes ou non par les USA, on ne sait pas trop), les anticastristes menaçaient la sécurité de l’île et de ses habitants. En surfant sur la mode de l’antiaméricanisme primaire (jusqu’à faire condamner le FBI et ses méthodes pourries par l’employeur américain d’Olga, épouse d’un espion avéré...), Assayas prend un risque calculé. Personne ne lui reprochera cette approche à l’heure où Trump cristallise toutes les rancoeurs autour de son hégémonisme archaïque.