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Soucieux de la vérité des hommes et porté par une puissance picturale énorme, le film évite les écueils et s’impose comme un monument de cinéma humaniste comparable à Requiem pour un massacre d’Elem Klimov. Plutôt que de représenter frontalement les
principales manifestations d’une barbarie qu’on ne devine que trop, le cinéaste en propose une lecture impressionniste à travers une
variété de témoignages, dont le plus étonnant est celui d’un bureaucrate nazi qui entreprend, à la façon d’Oskar Schindler, de sauver autant de Chinois que possible. La multiplication des points de vue contribue à une sorte de froide objectivité. L’horreur des situations a incité Lu Chuan à garder une certaine distance, jusqu’à choisir délibérément le noir et blanc pour ne pas montrer la couleur du sang. Cette retenue a valu au film de violentes critiques de la part de certains Chinois nationalistes. Il est important d’en tenir compte pour
ne pas, à l’inverse, réduire le film à la seule propagande.
Toutes les critiques de City of Life and Death
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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par Gaël Golhen
Deux heures et dix minutes. En deux et dix minutes, Lu Chuan raconte les six semaines du viol de Nankin, six semaines durant lesquelles l'armée impériale japonaise a passé la ville entière par les armes. Deux heures dix (vives, écorchées, sublimes) qui ont maturé vingt ans dans l'esprit de ce cinéaste surdoué de la nouvelle génération.
City of Life and Death est juste un film anxiogène d'une ampleur démesurée, baignant dans une esthétique de cendres et un formalisme russe époustouflant. Et Lu Chuan de se retrouver tout en haut de la liste des cinéastes à suivre.
City of Life and Death tente, et réussit, une mise en perspective, avec la volonté de ne pas affronter deux blocs mais de montrer que chacun peut avoir des failles, même si, officiellement, elles ne sont pas reconnues.
L'embarras relatif mais ressenti devant City of Life and Death découle peut-être d'un problème de perspective culturelle et historique. Ou de sa prudence (le panel de destins trop superficiel) qui côtoie un désir de mettre enfin des images sur Nankin. Notre longue tradition critique (Godard, Rivette, Daney, Skorecki) agit aussi comme un filtre. On ne peut adhérer complètement à cette esthétique stylisée, ces plans en scope rutilant ou quelques ralentis insistants. Mais on peut également bifurquer et retrouver la noirceur de Kobayashi se découpant en une étrange ombre chinoise. Jusqu'au noir et blanc et le personnage du soldat japonais qui rongé par ce chaos meurtrier finira insoumis, l'auteur désespéré mais rebelle d'Harakiri hante City of Life and Death. Il lui offre son meilleur horizon, tempère les questions d'éthique de mise en scène et fait oublier les bons sentiments du plan final. Pas sûr que le film participe à adoucir les relations sino-nippones, mais il restera.
Au-delà du témoignage historique, la reconstitution impressionne par la puissance de sa mise en scène, qu'on soit au bord de l'abstraction (les combats de rue dans des ruines où les soldats ressemblent à des fantômes anonymes), ou au coeur de l'humain et des sentiments les plus extrêmes. Difficile de ne pas songer à La Liste de Schindler, de Steven Spielberg : même noir et blanc solennel (et somptueux), même célébration de la vie qui parvient à résister dans un environnement voué à l'extermination, même personnage (authentique) d'Allemand pronazi prêt à risquer sa peau pour porter secours aux persécutés. Quand Rabe (John Paisley, poignant) doit abandonner ses réfugiés, les condamnant à une mort certaine, ses larmes deviennent les nôtres.
Lu Chuan, qui avait auparavant réalisé un film d'action passionnant, Kekexili (2004), qui mettait aux prises braconniers et gardes- chasse sur les hauts plateaux de l'Ouest chinois, a eu accès à des journaux de soldats japonais. Il en a conçu le personnage de Kadokawa (Hideo Nakaizumi), un conscrit qui prend rapidement conscience de l'iniquité de sa mission. Seul signe de l'humanité des militaires nippons, le personnage de Kadokawa n'a d'autre raison d'être que de modérer un peu la furie légitime de la description du massacre. Dans l'autre camp, le réalisateur met en scène les compromissions des Chinois les plus fortunés et l'héroïsme de petites gens qui justifie l'emploi du terme "Life" dans le titre du film.
Ces efforts si clairement visibles pour répondre à des sollicitations de tous ordres - politique, historique, esthétique - font que City of Life and Death ne peut être plus qu'un document passionnant. Il rappelle un épisode que certains, au Japon, voudraient voir effacé, et donne une idée de l'état de la mémoire historique en Chine. Mais il ne suscite pas d'autre émotion que la désolation qui vient à la vue d'un monument aux morts.