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1905. Au fin fond du Cantal. Autant dire à mille lieux du vaste monde. Bruno Reidal, le héros malheureux et/ou maléfique de ce premier long-métrage de Vincent Le Port, réside ici, quelque part entre le ciel et la terre, entre le Saint-Esprit et le plancher des vaches. Sa mystique s’incarne dans un corps d’homme-enfant vouté à la voix fluette. Il y a d’un côté les origines – la petite paysannerie française bien dans son jus –, et de l’autre, des études de séminariste qui offrent une vie au plus haut des Cieux. Sauf que Bruno Reidal est un monstre froid avec du sang partout et des pulsions délirantes mal canalisées. Le 1er septembre de la même année, il est arrêté pour avoir très sauvagement assassiné un gamin de 12 ans par décapitation. L’histoire est vraie et a défrayé en son temps la chronique du Cantal et d’ailleurs. Pile soixante-dix ans auparavant, le normand Pierre Rivière, son frère d’â(r)me, avait lui égorgé sa mère, sa sœur et son frère à coup de serpe. Reidal se retrouve alors devant juges et surtout médecins, qui lui demandent de réfléchir à son acte et, pour l’aider à trouver la lumière, de coucher son histoire par écrit. L’exercice va dépasser l’entendement. Car Bruno Reidal est certes un monstre mais aussi un esprit supérieur, un écrivain né. Sa prose démontre une lucidité extrême. Si Pierre Rivière est devenu un cas d’école grâce à Foucault et son séminaire au Collège de France puis au film de René Allio, Bruno Reidal, lui, a disparu de la mémoire collective. Vincent Le Port le ressuscite aujourd’hui. Le cinéaste repéré avec ses courts métrages (Le Gouffre….), s’est plongé dans les mémoires du jeune séminariste pour en extraire un texte dit d’une voix-off dépourvue d’affect par son interprète (l’étonnant Dimitri Doré). La voix blanche bressonienne s’impose en surplomb. Le corps frêle et fragile de Reidal avance dans un flashback tel un pantin prisonnier de tout : cadre, décor, pensée, corps. Alors, il baisse la tête comme un ange blessé. Qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? Les frustrations ne sont pas tant sociales que psychologiques et physiques. L’homme-enfant se masturbe frénétiquement. Pour quelqu’un qui rêve de Dieu, c’est du blasphème. Il faut se reprendre. Voici donc l’histoire d’un impossible renoncement. Découvert à la Semaine de la Critique, ce Bruno Reidal a autant frappé les esprits par la grâce de sa mise en scène que son oppressante brutalité.