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On était vaguement curieux de voir Luca Guadagnino s’attaquer à une romance anthropophage (l’histoire de deux jeunes amoureux qui errent sur les routes américaines et s’arrêtent de temps en temps pour dévorer des gens) tant il y a clairement une dimension « cannibale » dans l’œuvre du cinéaste italien. L’homme mange à tous les râteliers, il l’assume, adore l’exercice du remake (il a « refait » La Piscine et Suspiria), et a connu son plus grand succès (Call me by your name) en reprenant le projet des mains de James Ivory. « J’aime tellement Suspiria que je voulais le dévorer », nous avait-il glissé un jour en interview. Mais Bones and all ne théorise absolument pas ce rapport très « gourmand » à l’histoire du cinéma. Difficile en fait de dire ce que Guadagnino recherche ici : le film frappe en effet par sa mollesse, son manque d’allant, son aspect atone. Et ça ne pardonne pas dans un genre (le road-movie criminel et romantique, dans la foulé de Badlands et des Amants de la nuit) qui joue traditionnellement sur la séduction, le lyrisme, l’énergie. Dans le rôle des teenagers maudits, Taylor Russell et Timothée Chalamet sont charmants, mais il n’y a aucune alchimie entre eux. Guadagnino régurgite une imagerie gothico-white trash piochée chez Jarmusch et l’Andrea Arnold d’American Honey, toute une poésie de ruelles sordides, de motels miteux, de lumière rasante de fin du jour et de coups de foudre à la supérette. Mais à force de poses et de clichés, celle-ci vire à l’imagerie dévitalisée, artificielle, faussement cool, confirmant la nature très creuse de ce cinéma.