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Depuis le sommet Avengers en 2012, le plaisir pris devant les "petits" Marvel (en gros, les deux Ant-Man) autorisait une théorie : et si c'était dans les films mineurs du MCU, les entre-deux, que la Formule Marvel marchait le mieux ? Avec la modestie qui correspondrait à ce qu'ils devraient êytre absolument : comme des comic book movies 90s faits avec métier, sans autre prétention que de nous divertir pendant les longs étés du passé. OK, la théorie est fragile : difficile de qualifier un film comme Black Widow de petit quand il a coûté au bas mot 200 millions de dollars, mais le spin-off consacré à la super-espionne incarnée par Scarlett Johansson est clairement un "petit" film quand on le compare à Endgame, Black Panther ou au dernier Spider-Man, que ce soit en termes d'échelle ou d'enjeux. Sans spoiler, nous voici donc entre Civil War et Infinity War, quand Natasha Romanoff se planquait des autorités terriennes pour cause de non-respect des accords de Sokovie (les fans vous expliqueront mieux que nous, si vous êtes largués). La promesse du film est ainsi d'explorer le passé de la Veuve noire, de la doter d'une famille et d'une vraie épaisseur. Du côté familial, c'est réussi, puisque le film ne s’envisage pas tellement comme un émouvant adieu à Black Widow mais comme l’assurance de la continuité via les liens du sang : la formidable Florence Pugh, qui incarne la sœur de Natasha, est bel et bien taillée pour la reprise, et on s'attend à ce que les fans tombent aussi raides dingues de Red Guardian, le Captain America russe incarné par un David Harbour beauf et rigolard.
Mais, si on creuse plus profondément, est-ce qu'il se passe quelque chose du côté du cinéma ? Black Widow est le premier Marvel à revenir sur grand écran après une pandémie où les séries Disney +, intelligemment marketés et diffusés, ont réussi à maintenir l'intérêt du public et à squatter les lignes éditoriales des sites. Et, de fait, le plaisir de voir un film du MCU sur grand écran est important, augmenté par le sentiment de manque induit par le Covid. Encore cette histoire de formule, de recette ; on en a toujours pour son argent. L'ouverture de Black Widow laisse même de grands espoirs : nous sommes en 1995, et une famille d'espions russes (devinez qui) inflitrés en Ohio est grillée et doit s'échapper en pleine nuit. Le rythme monte petit à petit, la caméra glisse la nuit le long de lieux sacrés américains -un fast-food, un pont métallique, un stade illuminé par les "lumières du vendredi soir"- le tout au son d’American Pie de Don McLean, avant de nous entraîner dans une course-poursuite entre un avion de tourisme et une horde de flics... Mais après cela, Black Widow retombera vite sous les effets de la Formule Marvel, dans son dernier acte routinier, rempli de supersoldats cyber à la GI Joe et de bastons numériques sur fond vert sans doute précalculées par des concept designers avant même que la réalisatrice Cate Shortland ne s'empare du projet. La personnalité du film malheureusement, se dilue peu à peu alors que la Formule prend le contrôle. Est-ce un hasard si on a l'impression d'entendre au détour de la bande-son -au demeurant formidable- de Lorne Balfe un extrait de la BO de Moonraker ?
Bon, on vous rassure, on est loin du nanar spatial de 007, mais après dix ans passées dans l'ombre des figures masculines du MCU, Black Widow méritait mieux que cette traque un peu secondaire d'un grand méchant tout aussi secondaire. Le fait que le McGuffin du film soit une formule chimique capable de modifier le libre arbitre n'est qu'une coïncidence -pas si amusante que ça, en fait- à une époque où les blockbusters du MCU sont capables de drainer tout le grand public contemporain. Alors Black Widow, en deux mots, c'est comment ? Oui, c'est pas mal, c'est sympa, ça fait même un peu du bien, mais ça n'est pas aussi grand que ça voudrait l'être. Pas un point final au passage de Scarlett dans le MCU (on prévoit déjà de la revoir, elle et Florence Pugh), mais une parenthèse, un épisode spécial qui se voit avec plaisir mais ne laissera pas de profonds souvenirs. Comme le chante Kurt Cobain dans le passage final de Smells Like Teen Spirit, curieusement zappé de la reprise reznoresque du générique d'ouverture de Black Widow : well, whatever, nevermind.