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Tim Burton à la recherche de lui-même, épisode… euh, combien déjà ? On a arrêté de compter. Depuis la fin de son âge d’or, au tournant du siècle (quelque part entre Sleepy Hollow et Big Fish), Tim Burton essaye désespérément de retrouver l’énergie et la fièvre de ses débuts, qui restera son âge d’or. Il a beau continué d’élargir son fan-club à chaque génération (le carton de Mercredi sur Netflix l’a prouvé récemment), d’être accueilli comme une superstar à chacune de ses apparitions publiques, il sait, au fond de lui, qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il le dit, d’ailleurs, en se plaignant en interview de sa décennie 2010 occupée en grande partie à tourner des adaptations live de classiques Disney. Tim Burton se cherche, donc, à coups de films théoriques (Big Eyes), de madeleines le ramenant à son enfance (Dark Shadows) et même d’auto-remakes (Frankenweenie).
Miracle ! Il s’est retrouvé. On ne va pas essayer de vous faire croire qu’on a assisté au come-back du cinéaste d’Ed Wood et de Batman, le défi, n’exagérons rien, mais, le temps de Beetlejuice Beetlejuice, on le redécouvre inventif, marrant, léger, heureux et détendu au milieu de ses monstres et de quelques-uns de ses acteurs fétiches. C’était donc ça, le secret : il suffisait de se confronter à Beetlejuice (son deuxième film, une carte de visite qui lui ouvrit en grand les portes de Gotham), en en imaginant une suite, 34 ans plus tard.
Beetlejuice a l’avantage de ne pas être une référence trop écrasante : on ne parle pas ici d’un chef-d’œuvre inatteignable, mais d’un petit classique azimuté, bourré d’inventions plastiques admirables, certes, de bricolages fulgurants, d’idées singulières (l’utilisation de la musique d’Harry Belafonte) et d’une performance anthologique de Michael Keaton, mais également un peu télévisuel et foutraque sur les bords. Pas une œuvre tenant du miracle, donc : une friandise d’abord portée par l’amour du travail bien fait et l’envie d’amuser la galerie.
Beetlejuice Beetlejuice est exactement de cette nature-là. Certes, comme toutes les suites tardives et autres legacyquels, il s’agit d’assurer le fan service et de mesurer le temps qui s’est écoulé depuis le premier opus. Burton se projette d’abord ici dans la figure de Lydia Deetz (Winona Ryder), vieille routière des shows télé surnaturels qui a oublié la chipie incontrôlable qu’elle était dans sa jeunesse et s’est mise à usiner de la trouille grand public au kilomètre. Toute ressemblance avec un cinéaste hanté par son passé ne serait pas une coïncidence… Mais Burton n’est pas là pour embêter le monde avec sa psychanalyse. Si le film a des choses à dire (sur l’institution du mariage et les époux toxiques, principalement), ce sera à toute allure, sans se retourner. L’essentiel, c’est de secouer le shaker burtonien, rempli de bestioles délirantes, de gags gentiment morbides, de décors compilant les obsessions du maître des lieux (expressionisme, série B, une pincée de Mario Bava, etc.). C’est Beetlejuice revivifié par Mercredi (les dialogues écrits par les deux showrunners de la série Netflix sont souvent drôles), Tim Burton au sommet de son art auto-référentiel, avec un grand sourire aux lèvres et en tapant du pied – une humeur disco-soul a remplacé Belafonte dans la B.O., et le film ne déçoit pas sur le plan des séquences musicales endiablées, ce qui n’est pas rien.
Ce qui frappe aussi, enfin, c’est l’amour absolu porté ici aux comédiens, couvés tendrement du regard, filmés avec attention : Keaton, bien sûr, qui a l’air de débarquer directement de 1988, mais aussi Winona Ryder, très touchante en éternelle goth borderline, Jenna Ortega, digne héritière de Winona, ou Willem Dafoe en acteur cabot qui cabotinera pour l’éternité – seul Justin Theroux déçoit un peu en comic relief pas si marrant que ça. Monica Bellucci, nouvelle muse et amoureuse du réalisateur, est très bien servie en épouse vengeresse et dévoreuse d’âmes, notamment dans une chouette séquence de renaissance où elle rafistole elle-même son corps démembré, avant d’aller botter les fesses de son vieux mari démoniaque. Rafistolé, rapiécé, revenu des limbes pour se dégourdir les jambes : un bon instantané du Tim Burton 2024.