Disney, Apple et Facebook sont partis à la chasse à Netflix et Amazon.
Au départ, il y a cette petite société américaine, qui a démarré comme une simple entreprise de location de DVD, envoyant ses galettes par la poste (!). Une décennie plus tard, Netflix a révolutionné la manière de regarder la télévision, les séries et maintenant les films. Comptant 33 millions d'abonnés en 2012 (essentiellement aux USA), la plateforme affiche, en ce début d'année 2018, plus de 117 millions de clients payants (dans 200 pays à travers le monde). Une croissance de près de 400% en 5 ans, qui se traduit en terme de billets verts par un chiffre d'affaires faramineux de 11,7 milliards de dollars et un bénéfice net de 559 millions de dollars (en 2017). Plus fort encore, la capitalisation boursière de Netflix a été multipliée par 20 en quelques années, atteignant la barre symbolique des 100 milliards de dollars (source : Les Échos).
Le mur du son a été franchi. La preuve est faite que le streaming, ça marche. C'est rentable. C'est l'avenir. La société créée par Reed Hasting a ouvert une nouvelle voie, un nouveau mode de consommation du divertissement, qui s'est vite enraciné dans le comportement des consommateurs américains, européens, asiatiques. Mais le modèle de Netflix ne s'est pas développé par l'opération du Saint-Esprit. C'est en investissant massivement, avant tout le monde, dans la production de contenus originaux de qualité, que la petite société est devenue un géant de la Silicon Valley.
LES DEUX POIDS LOURDS
Dès 2013, elle a osé mettre sur la table 1,22 milliards $ pour acquérir et fabriquer des contenus. Une somme colossale, à l'époque, qui a permis à Netflix de gonfler son catalogue et de sortir en prime ses premières marques fortes, House of Cards et Orange is the New Black, pour aiguiser l'intérêt du chaland. D'année en année, la stratégie est restée la même : investir plus pour produire plus, sans lésiner sur la qualité des productions. Car les programmes Netflix doivent proposer autre chose, un ton différent, une ambition nouvelle, aux téléspectateurs fatigués par la télé formatée traditionnelle, mais qui n'ont pas forcément franchi le pas de la télé premium (HBO & co), relativement chère. En mettant les moyens, Netflix a ainsi pu démultiplier son offre et sortir quelques pépites, comme Stranger Things, Daredevil, The Crown ou 13 Reasons Why, devenus des hit du petit écran, des phénomènes de société, discutés à l'envie sur les réseaux sociaux, et qui ont grandement contribué à faire monter la hype autour de la marque. Gardant le cap, la société va encore accroître son budget contenu, en 2018, avec 8 milliards de dollars injectés dans la création et l'acquisition.
Parce que Netflix commence à sentir la concurrence lui souffler sur la nuque, depuis des mois. Les acteurs majeurs de la Silicon Valley ont mis le temps, mais ils commencent à réaliser l'importance titanesque qu'est en train de prendre le streaming dans le secteur du divertissement. Apple, Disney et même Facebook se penchent désormais très sérieusement sur ce marché florissant.
Mais ils arrivent avec un train de retard. Sur Netflix, évidemment, mais aussi sur Amazon. Car la société de vente en ligne a, elle, rapidement compris l'intérêt du marché de la VOD. Dès 2013, Amazon Prime a commencé à produire ses propres séries originales. Mais plus frileux, Jeff Bezos n'a pas osé investir autant d'argent que Netflix, et a d'abord pensé sa plateforme comme un bonus, pour convaincre les consommateurs du web de s'abonner au programme Amazon Prime (qui offre une livraison gratuite et rapide). De fait, les premières séries made in Amazon Studios ont eu bien du mal à prendre. Qui a regardé Betas ou Alpha House ? Au fil des ans, le groupe a tenté de rectifier son erreur de départ, en mettant plus de moyens pour produire des contenus de qualité, comme The Man in the High Castle, Mozart in the Jungle et The Marvelous Mrs. Maisel. L'an dernier, la stratégie d'Amazon a franchi un nouveau cap, en acquérant les droits du Seigneur des Anneaux pour 250 millions de dollars ! Un gros coup, qui en appelle d'autres, puisqu'en 2018, ce sont plus de 4 milliards de dollars qui vont être investis dans la production de contenus.
LES CONCURRENTS DU FUTUR
Il faut dire qu'Amazon n'a pas le choix : pour rester dans la course, il faut miser gros. Car de nouveaux concurrents s'apprêtent à entrer en piste. Et ils ont de quoi faire peur. Disney est certainement le plus impressionnant. Le groupe aux grandes oreilles, qui a fait frissonner tout le milieu en rachetant Fox, veut sa part du gâteau ! Plus question d'être simple producteur (via Marvel, par exemple, pour les super-séries Defenders de Netflix), Bog Iger veut entrer dans la danse des diffuseurs. Fin 2019, il lancera la plateforme de streaming Disney (dont on ne connaît pas encore le nom exact). Pour un montant inférieur à 10$ ("Parce que nous aurons beaucoup moins de contenus à proposer que Netflix", a annoncé Bob Iger), on retrouvera tous les films et toutes les séries made in Disney, en ligne. Mais comme ça ne peut pas être suffisant pour inciter les gens à s'abonner, le groupe va aussi développer quatre ou cinq programmes originaux, en utilisant ses marques fortes : une série ado High School Musical, une série animée Monstres et Cie, une nouvelle série d'action Marvel, et enfin et surtout, la toute première série live action Star Wars, qui sera le produit d'appel de la plateforme.
Du très lourd donc, pour tenter de se faire une place au soleil. Une place que convoite aussi activement Apple. La marque à la pomme n'a, pour une fois, pas vraiment senti le vent du changement et c'est avec un certain débours qu'elle a annoncé, l'an dernier, son intention d'investir massivement dans la création originale. 1 milliard de dollars pour développer ses propres séries, destinées à attirer ses fidèles vers sa future plateforme en développement. Mais Apple n'a pas de studio ou de licenses fortes, comme Disney, alors le groupe dirigé par Tim Cook a débauché deux pontes du studio hollywoodien Sony, Jamie Erlicht et Zack Van Amburg (derrière Breaking Bad et The Crown notamment) pour mener à bien son entreprise. Il tente aussi de signer de gros noms et aurait ainsi fait un chèque de 240 millions de dollars à Reese Witherspoon, pour sa nouvelle série, dans la foulée du carton mondial de Big Little Lies (dont elle était productrice). Apple a aussi recruté le réalisateur de La La Land, Damien Chazelle, pour un projet encore top secret, qui excite déjà la curiosité du public.
L'OUTSIDER
Parce que là est la clé. Comme l'a montré Netflix, c'est avec du contenu de qualité qu'on arrive à convaincre le public de s'abonner. La concurrence l'a bien compris et Hulu en premier lieu. Même si elle n'a pas le même rayonnement que Netflix ou Amazon (puisqu'elle n'est disponible qu'en Amérique du Nord et au Japon), la plateforme survit en investissant massivement : 2,5 milliards de dollars ont été dépensés en contenus l'an dernier et ce sera la même chose en 2018. Le carton de The Handmaid's Tale aux Golden Globes et aux Emmy Awards ne peut qu'inciter Hulu à continuer dans cette voie, en attendant la sortie prochaine de la très attendue série Castle Rock, adaptée de Stephen King. Et même si elle offre moins de programmes originaux que ses concurrents, la société fondée en 2007 risque de rester un élément fort du marché, dans les années à venir, puisqu'elle est désormais propriété de Disney à 60%. Et le groupe aux grandes oreilles envisage sérieusement d'y placer... tous les contenus Fox qu'il vient d'acquérir !
LES AUTRES PLATEFORMES DU MARCHÉ
Le milieu du streaming est donc en pleine ébullition et au milieu des mastodontes, d'autres acteurs émergent depuis quelques mois. Ils n'ont pas la même masse d'abonnés qu'Amazon, ni la même force de contenus potentiels que Disney, mais ils osent, innovent, créent, et mettent quelques billets verts dans la machine, pour espérer toucher le jackpot. Ainsi, la chaîne traditionnelle CBS, qui a bien vu ses audiences dévisser d'année en année, mangée par la concurrence accrue des téléspectateurs en ligne, a décidé de booster sa plateforme de visionnage, All Access. En plus de proposer les programmes de sa grille, en replay, elle offre depuis un an des contenus exclusifs. The Good Fight, la série dérivée de The Good Wife, y a ainsi trouvé sa place, tout comme la toute nouvelle série événement Star Trek : Discovery. Prochainement, Jordan Peele, qui a cartonné l'an dernier avec Get Out, y lancera la nouvelle version de La Quatrième Dimension. Autant de séries qui auraient pu être diffusées sur CBS, mais que le groupe a préféré garder pour développer son propre réseau de streaming.
YouTube Red, de son côté, existe depuis 2015, et était, au départ, une offre d'abonnement payante ayant pour objectif d'offrir une meilleure expérience aux internautes, fournissant des vidéos sans publicité et même hors-ligne. Mais très vite, après le rachat par Google, la platefome web a commencé à développer ses propres programmes originaux, pour alimenter Red. Même si elle n'a pas investi autant que Netflix & co, aujourd'hui, on compte une dizaine de séries originales YouTube, dont le drama de science fiction Lifeline, la comédie loufoque Ryan Hansen Solves Crimes on Television et même Step Up: High Water, une série produite par Channing Tatum et sa femme, adaptée des films Sexy Dance.
On peut même noter que depuis quelques jours existe une plateforme Stargate Command. Développée par le studio MGM pour sa franchise, elle est totalement dédiée aux différentes séries Stargate (et au film original, évidemment). Et pour la lancer, MGM a même créé une toute nouvelle série, Stargate Origins !
LE CAS FACEBOOK
Et Facebook dans tout ça ? Avec son milliard et quelque d'abonnés à travers la planète, inutile de dire que le réseau social a les armes en mains pour devenir le plus gros réseau de streaming du monde. D'ailleurs, Rupert Murdoch, le magnat des médias américains, expliquait récemment sur Fox Business : "Je pense que Facebook arrivera. Avec Apple et Netflix, ce seront les grands acteurs du marché du streaming". Et déjà, le groupe de Mark Zuckerberg a mis un pied dans le bain, en lançant, à l'automne dernier, sa première création maison : Strangers. Pour l'heure, il ne s'agit que de courtes productions, très ciblées, pour les 17-30 ans, destinées à être vues (pour résumer) dans les transports en commun. Mais le réseau social négocie depuis quelques mois, avec plusieurs studios hollywoodiens, pour passer la vitesse supérieur et proposer, lui aussi, ses propres séries premium. Facebook serait ainsi prêt à débourser jusqu'à trois millions de dollars par épisode, selon le Wall Street Journal, pour s'offrir du contenu de qualité. Et à l'avenir, c'est lui qui pourrait être le plus grand concurrent de Netflix.
DÉJÀ UNE VICTIME
Une chose est sûre, il n'y aura pas de gâteau pour tout le monde. Comme à chaque fois, lorsque le marché sera stabilisé, certains acteurs se retrouveront sans chaise à table. Parce que la stratégie de la série originale n'est pas toujours payante. Yahoo en a fait l'amère expérience, avec Yahoo! Screen. Entre 2014 et 2015, ses créations maisons, Sin City Saints et Other Space, ont fait un four, tout comme la suite de la sitcom Community. Un an plus tard, Yahoo Screen fermait boutique, après avoir annoncé une perte de 42 millions de dollars...
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