En invitant Jacques Audiard à réaliser les deux derniers épisodes de la saison 5, le créateur du BDL voulait "finir en beauté".
C’est la "fin d’un cycle". Le final de la saison 5 du Bureau des Légendes ne marquera pas forcément la fin de la série elle-même, mais, du moins, la fin d’une époque. Son showrunner, Eric Rochant, a en effet décidé de prendre ses distances avec sa création. Sans lui, la série devra se réinventer. Du côté de Canal +, on ne parle pas ainsi véritablement d’une saison 6 pour le futur, mais d’un "nouveau cycle". Sous quelle forme, alors ? Un spin-off ? Une suite conservant d’une façon ou d’une autre l’ADN de la série ? A voir… En attendant, Eric Rochant a choisi de faire ses adieux d’une manière flamboyante et inédite : en confiant l’écriture et la réalisation du bouquet final de la saison 5 (les épisodes 9 et 10) à un cinéaste, Jacques Audiard. Comment le passage de relais s’est-il fait entre les deux hommes ? Comment le réalisateur d’Un Prophète et de De Rouille et d’os s’est-il approprié les codes de la série d’espionnage ? Et pourquoi Eric Rochant a-t-il éprouvé le besoin de partir vivre de nouvelles aventures ? Réponses dans ces extraits d’une interview initialement publiée dans Première n°506 :
Première : Comment et pourquoi Jacques Audiard est-il devenu auteur-réalisateur des deux derniers épisodes de la cinquième saison du Bureau des Légendes ?
Eric Rochant : Mon but dans la vie, mon idéal, était que Jacques termine Le Bureau des légendes. Parce que moi, j’arrête. Je voulais que ça se finisse en beauté et le meilleur moyen d’être sûr que ça se finisse en beauté, c’était que je ne le fasse pas moi-même ! (Rires.) Cela fait longtemps que je voulais confier la série à quelqu’un qui était capable de la reprendre et de la transmettre. Ce n’est pas d’un faiseur dont j’avais besoin mais de quelqu’un de suffisamment assuré de son propre univers pour intégrer celui du Bureau des Légendes, puis en faire sa chose à lui. C’était utopique pour moi, je pensais qu’il dirait non, je ne voyais pas pourquoi il le ferait.
Jacques, vous avez été facile à convaincre ?
Jacques Audiard : Oui, mais cela s’est fait quand même en ce qui me concerne sur une sorte de méprise. C’est à dire que ça m’intéressait de faire de la série, mais si je ne l’écrivais pas. Cette idée de : "Vous faites là où on vous dit de faire. Comme je connaissais Le Bureau des Légendes, j’étais très enthousiaste à l’idée de m’ébrouer là-dedans. Mais cela ne s’est pas fait exactement ainsi et je me suis retrouvé à écrire.
ER : J’ai réalisé ou supervisé la réalisation des huit premiers épisodes. Pour les deux derniers, j’ai dit à Jacques, mais il ne l’a peut-être pas compris tout de suite : "Tu en fais ce que tu veux, tu termines la série comme tu veux".
JA : Je ne l’ai pas cru, en fait.
ER : Je suis même allé plus loin, puisque je lui ai dit, alors que je n’avais pas encore commencé à écrire les épisodes 6, 7 et 8, que j’avais de la marge pour lui préparer des éléments narratifs dont il pourrait avoir besoin. Donc, il y a eu un partage des eaux créatives pour qu’au final le passage de la rivière à l’océan se fasse en douceur.
Vous connaissiez donc bien Le Bureau des Légendes avant qu’Éric Rochant ne vous contacte ?
JA : Oui, absolument. Après, sans trop remuer les cendres, je dois dire qu’Éric a fait un film très marquant, Les Patriotes [1994], que j’ai vu un certain nombre de fois. Et quand j’ai fait Un héros très discret, j’ai notamment pris une actrice [Sandrine Kiberlain] que j’avais vue dans Les Patriotes. Je pense que quand Éric a fait ce film, ne serait-ce qu’au stade du projet, il a dû avoir un grand moment de solitude. C’était pareil pour mon premier film, Regarde les hommes tomber, c’était un film de genre, un film noir, ce n’était pas très accueillant.
Dès les premiers épisodes de la saison 5, on sent une évolution du style, à travers l’abondance de scènes de sexe, notamment, une atmosphère plus contemplative…
ER : Oui, là, on rentre dans la vie sexuelle des personnages. C’est aussi une influence de Jacques, qui avait envie de parler de libido. Il y a dans cette saison une volonté de tenter des trucs qu’on n’avait jamais faits. Des inhibitions qu’on peut avoir au début d’une série, en se disant qu’on va perdre des spectateurs, se sont mises à sauter. Dans la vie d’une série, après les trois premières saisons, on peut tout casser. Le changement est vraiment flagrant dans les épisodes 9 et 10 réalisés par Jacques, car tout à coup la mise en scène devient une écriture. Jusqu’à présent, la mise en scène était au service de l’écriture. Et je pense que là, avec Jacques, mise en scène et écriture se mêlent complètement.
Jacques, vous trouviez que la série manquait de libido ?
JA : On a eu cette longue conversation en amont avec Éric pour savoir comment clore et quel allait être le bilan personnel des personnages. Donc quand vous commencez à aborder le bilan personnel, il va y avoir la libido, la psyché, dans quel état ils sont ...
ER : Jacques avait quand même la tâche ardue de clore et pas celle de simplement reprendre ou continuer. Ses réflexions sur ce qu’il allait faire des personnages, sur ce qu’il allait raconter et par quel angle, étaient induites par l’idée de conclusion. Et c’est intéressant la libido, c’est une question de désir, d’où se situe le désir. C’était tout l’intérêt de confier ça à Jacques : quelqu’un comme lui pouvait tout d’un coup réellement éclairer de nouvelles parties du même espace. Il éteint les lumières et il met soudain les projecteurs sur d’autres aspects. Et tout d’un coup on voit les mêmes couleurs et les mêmes choses mais sous de nouveaux angles.
JA : Ces personnages sont tellement résilients. Mais résilients jusqu’où ? Résilients comment ? C’est cette question-là qu’on a réussi à se formuler.
Donc, Le Bureau des légendes, c’est vraiment fini ?
ER : Je ne sais pas si la série s’arrête, mais moi j’arrête, oui.
JA : Je peux poser une question moi aussi ? Quand tu as commencé la série, dans tes rêves les plus fous, tu pensais faire combien de saisons ? Et si tu me réponds cinq, t’es un putain d’enfoiré ! (Rires)
ER : En fait, je peux répondre de deux manières différentes. D’abord, j’ai demandé à Canal+ à combien de saisons on avait le droit de penser. Car on ne peut pas écrire la saison 1 à part, on a besoin de savoir si ça va continuer. Ils m’ont dit que si ça marchait, on devrait pouvoir aller au moins jusqu’à trois. J’ai donc d’abord songé à trois saisons, mais pour moi une série ce n’est pas trois saisons, c’est plus. Au moment de la saison 4, je me suis demandé si je ne pouvais pas m’arrêter là. Sauf que les séries que j’ai beaucoup aimées font cinq saisons : The Wire, Friday Night Lights, Boardwalk Empire. Les Soprano, c’est 6 et Mad Men, 7, les chiffres tournent autour de ça. On n’est pas dans les 16 saisons de Grey’s Anatomy. Finir à quatre saisons, ce n‘était pas s’inscrire dans une tradition que j’aime. Donc si on m’avait posé la question, j’aurais dit… cinq ! (Rires)
Propos recueillis par Frédéric Foubert et Damien Leblanc.
Interview à retrouver en intégralité dans Première n°506.
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