Ce qu’il faut voir cette semaine.
LES ÉVÉNEMENTS
L’EMPEREUR DE PARIS ★★★☆☆
De Jean-François Richet
L’essentiel
Vincent Cassel redonne vie à la figure du bagnard reconverti dans un film sombre et réaliste qui tranche avec les précédentes incarnations du personnage. Révolution ?
La dernière fois qu’on a vu Vidocq au cinéma, c’était dans l’adaptation de Pitof, qui tentait de ressusciter le genre feuilletonesque avec un imaginaire techno-romantique et une esthétique de clip un peu trop bouillonnante. Du passé (et de ce film-ci particulièrement), L’Empereur de Parisfait table rase. Pas de kung-fu sur éclairages néons, pas de surenchère pyrotechnique.
Pierre Lunn
AQUAMAN ★★☆☆☆
L’essentiel
Pendant que les fans de Marvel et de DC comptent les points, à chaque nouvelle sortie d’un film de super-héros on est tenté de se dire qu’il n’y a aucun vainqueur, et un seul perdant : le cinéma. Avec Aquaman et le concours du charismatique Jason Momoa, James Wan a visiblement essayé de nous faire mentir, mais y est-il parvenu ? Pas vraiment…
Cinéaste au talent certain, qui s’est habilement fait la main dans le cinéma d’horreur (Saw, Insidious, Conjuring) avant de faire une incursion dans la saga Fast & Furious, Wan tente ici beaucoup de choses. Profitant du fait qu’Aquaman est un personnage plutôt vierge au cinéma, et évoluant dans un univers aquatique forcément dépaysant, le réalisateur né en Malaisie nous propose un film d’aventures riches en références, piochant ici dans Indiana Jones (les scènes de poursuite), Star Wars (le parcours initiatique) ou Avatar (le bestiaire sous-marin). Sauf que. Malgré toutes ses belles velléités, Aquaman est sans cesse rattrapé par son statut...
Edouard Orozco
PREMIÈRE A ADORÉ
WILDLIFE, UNE SAISON ARDENTE ★★★★☆
De Paul Dano
Il y a dix ans, à l’époque de Little Miss Sunshine et There will be blood, Paul Dano aurait sans doute pu tenir le rôle principal de Wildlife, celui de cet ado au teint pâlichon, qui regarde, interdit et anxieux, le mariage de ses parents se déliter sous ses yeux. Mais Dano a passé l’âge et c’est désormais lui qui dirige les acteurs post-adolescents prometteurs (en l’occurrence : Ed Oxenbould, le gamin de The Visit, de Shyamalan). Wildlife, son premier long, adapté d’un roman de Richard Ford, ressemble de prime abord à ce qu’on appelle un « film d’acteurs ». L’homme derrière la caméra en est un, et a composé méticuleusement, amoureusement, un écrin pour ses comédiens. Carey Mulligan et Jake Gyllenhaal s’ébrouent superbement en parents fatigués, amants désaxés, Américains très moyens prisonniers de chromos à la Norman Rockwell, d’une joliesse automnale étouffante. Wildlifeest un film obsédé par les couleurs déclinantes des fifties, croquant un minuscule bout d’Amérique aux rêves éteints, rendu plus rabougri encore par les majestueuses montagnes du Montana qui l’entourent. Sa langueur douce-amère le place à mi-chemin des films autobiographiques de Barry Levinson et des chroniques familiales de Kore-Eda. C’est un autoportrait de gamin rêveur qui aimerait quitter l’enfance pour de bon. À la fin, ça y est, le teenager au regard triste est devenu un homme et se demande à quoi la suite va ressembler. Nous aussi : on a très hâte de voir le prochain Paul Dano.
Frédéric Foubert
MAYA★★★★☆
De Mia Hansen-Løve
Partir. Disparaître. Le cinéma de Mia Hansen-Løve n’est fait que de mouvements : intérieurs, forcément, puisque c’est cette part indicible des êtres qui préside à sa réflexion de cinéaste, d’où parfois cette impression de torpeur et d’affectation. Les mouvements sont aussi purement physiques et concrets. Ici, un reporter de guerre français fraîchement libéré après des mois de captivité en Syrie, part à Goa en Inde. Pas de Fête de la pleine lune cependant, mais une maison vide, un hôtel dépeuplé et une rencontre avec une jeune Indienne. Gabriel, le héros, connaît l’Inde, ne cherche pas la carte postale, et du haut de sa discrétion et sa patience, attend qu’une lumière se rallume. Hansen-Løve avance au diapason de personnages tout en retenue, (re)construit avec eux une part d’eux-mêmes et parvient à saisir des émotions pures et prégnantes. De toute beauté.
Thomas Baurez
THE BOOKSHOP ★★★★☆
De Isabel Coixet
À Hardborough, à la fin des années 1950, Florence Green, une veuve de guerre, ouvre, non sans peine, une librairie dans la plus vieille demeure de la bourgade. Les notables n’apprécient guère le vent de nouveauté qu’elle fait souffler. C’est cependant la mise en vente du Lolita de Nabokov qui les fera définitivement sortir de leurs gonds. Mais tout doucement, sous cape. Car le film d’Isabel Coixet, adapté du roman de Penelope Fitzgerald, préfère jouer sa partition en sourdine. Il privilégie les sous-entendus, les non-dits et les sourires éteints. Pas grand-chose ne se passe dans cette ville, et non plus dans ce film. Et pourtant. Sous la surface bouillonne une vraie force mélancolique. Le film s’enivre de la poésie du « tout ce qui n’aura jamais lieu », qu’il s’agisse ici d’un amour disparu, d’un destin impossible ou encore d’une vocation refrénée. The Bookshopvaut pour son ambiance de bord de mer du Nord de l’Angleterre, à la fois froide, émouvante et corrosive, comme la société qu’il décrit, celle de l’après-guerre, traumatisée, entre tradition bien ancrée et volonté de changement frémissante, coincée dans un statu quo morne où la manipulation l’emporte sur la confrontation. Mais c’est aussi une ode à l’amour de la lecture et à la capacité des livres à anticiper la marche du monde, comme le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, célébré dans le film, et préfigurant la fin de manière inattendue.
Perrine Quennesson
PREMIÈRE A AIMÉ
LE RETOUR DE MARY POPPINS★★★☆☆
De Rob Marshall
La suite de Mary Poppins avance à peu près masquée. L'illusion ne dure pas très longtemps, en fait. On se réjouissait que Le retour de Mary Poppins accepte le fait qu'il se soit écoulé quarante ans depuis la sortie du premier film : Michael et Jane Banks sont devenus adultes et doivent faire face à la vente de la maison familiale de Cherry Tree Lane face à la cupidité des banquiers pendant la Grande dépression. Un bon angle d'attaque, donc, où l'histoire résonne avec l'actualité.
Sylvestre Picard
GRASS ★★★☆☆
De Hong Sang-soo
Troisième film de Hong Sang-soo à sortir cette année sur les écrans français, après Seule sur la plage la nuitet La Caméra de Claire, cet opus en noir et blanc s’ouvre sur des pots d’herbes situés devant un café où des conversations mélodramatiques prennent rapidement place. Les disputes entre âmes solitaires s’accompagnent d’une musique souvent grandiloquente, manière pour le cinéaste de refuser la banalité et l’anecdotique. Au centre du dispositif se trouve en effet une habituée qui semble noter sur son ordinateur toutes les paroles des clients : s’inspire-t-elle des discussions entendues pour écrire des fictions ou les personnages du café sont-ils le fruit de son imagination fertile et angoissée ? Le doute reste permis grâce à une mise en scène virtuose qui nous fait nous demander si l’apaisement final ne constitue pas lui-même une énième illusion tragique.
Damien Leblanc
THE HAPPY PRINCE ★★★☆☆
De Rupert Everett
À première vue, The Happy Princeressemble à ce que les Anglo-Saxons nomment « vanity project ». Un film taillé sur mesure par et pour son cteur/réalisateur/scénariste principal, souvent pour flatter son ego et montrer l’ampleur de son talent au public. Ici, il s’agit de Rupert Everett, qui incarne avec grandiloquence le poète Oscar Wilde dans les dernières années de sa vie, après sa condamnation et son emprisonnement pour homosexualité. Vanity project, peut-être, mais dès l’ouverture – Wilde raconte à ses enfants le conte du Prince heureux, qui rythmera tout le récit fait du chaos des souvenirs –, le film diffuse une émotion et une mélancolie extrêmement touchantes. Sous son épais maquillage, Everett dépeint avec brio son Wilde terminal comme un homme devenu un clown pathétique, égoïste monstrueux, qui finira ses jours dans un véritable chemin de croix ponctué de bacchanales diverses. Comme un Jésus moderne puni par la société pour ses débauches. De la poésie, une caméra qui virevolte, des caméos prestigieux (Colin Firth et Emily Watson, on aperçoit aussi Béatrice Dalle) : on n’est jamais très loin du cinéma de Julian Schnabel, mais Rupert Everett, tout en semblant fortement s’identifier à Wilde qu’il a déjà joué sur scène (Everett déclarait en 2010 que son coming out lui a fermé les portes du cinéma), parvient à mener son film avec une pudeur et une retenue incroyables. On lui pardonne alors de se prendre parfois les pieds dans le pathos : ça vaut le coup tant qu’on essuie quelques larmes à la fin.
Sylvestre Picard
BASQUIAT, UN ADOLESCENT À NEW YORK ★★★☆☆
De Sara Driver
1978, Lower East Side. L’explosion de la pauvreté et de la drogue pousse la population blanche à l’exode. Dans les rues désertes, entre les clubs underground et les motels défoncés, un petit gars, afro-américain, bariole les murs de graffitis sous le blaze de SAMO. À coups d’archives et d’intervenants prestigieux (dont Jim Jarmusch), Basquiat, un adolescent à New Yorkrevient avec brio sur les années de formation de l’artiste, durant lesquelles il hantait les rues de la Grosse Pomme. Au-delà du portrait de l’artiste en jeune homme, Basquiatest un morceau d’histoire américaine : l’effervescence d’un temps où le hip-hop pointait le bout de son ghetto-blaster et où l’art de rue relevait de la revendication subversive. Une époque de liberté et d’expériences bâties sur les ruines de la génération beatnik et les rêves brisés du Flower power.
François Rieux
MON PÈRE ★★★☆☆
De Alvaro Delgado Aparicio
Le jeune Segundo porte bien son nom. Toujours collé aux basques de son père, que les villageois appellent « maestro », il tente d’apprendre à son tour l’art du retable andin, petit autel multicolore garni de figurines folkloriques. Dans ce monde rural, fruste et brutal, où l’homme se doit de savoir boire, se battre et trousser les jupons, la sensibilité et la minutie du paternel le remplissent d’adoration. Jusqu’au jour où il est témoin d’un acte interdit qui fait vaciller sa foi. Dès lors, le cadre n’est plus assez grand pour les contenir ensemble (une rupture de mise en scène aussi sobre qu’élégante) et Segundo est seul dans ce monde qui s’effondre. Cruel comme toute tragédie, économe comme un western, Mon pèreest à la fois le récit d’un désenchantement et une ode à la transmission.
Michaël Patin
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
L’ŒIL DU TIGRE★★☆☆☆
De Raphaël Pfeiffer
Laurence fête ses 50 ans entourée d’amis dans sa ferme au fin fond de la Mayenne. Ce n’est pas la dernière des fêtardes. Ni des fumeuses. Elle a deux ados accros aux jeux vidéo et peu passionnés par les devoirs. Une vie des plus banales, en somme. Sauf que Laurence a un but, devenir championne de viet vo dao, un art martial vietnamien. Un défi d’autant plus grand que cette sportive sur le tard est, de surcroît, non voyante depuis plus de quinze ans. Au cœur du documentaire de Raphaël Pfeiffer, la quinqua au franc-parler déconcertant ouvre une porte sur un quotidien banal et hors du commun, où le langage est roi, et où le sport est à la fois un acte social et un moyen de reconquérir son corps. Si le traitement n’a rien de cinématographique, Laurence est, elle, une vraie héroïne de cinéma.
Perrine Quennesson
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
LE GENDRE DE MA VIE★☆☆☆☆
De François Desagnat
Père de trois filles, Stéphane ne s’est jamais consolé de ne pas avoir de fils. Tous ses espoirs de liens filiaux virils se reportent donc sur les prétendants de ses filles à qui il s’attache instantanément, au désespoir des premières intéressées. Le jour où sa cadette, Alexia, quitte le rugbyman vedette plébiscité par Stéphane pour un jeune médecin fragile abhorré par ce dernier, il dégoupille... Ce pitch vous rappelle quelque chose ? L’obsession d’un père pour des gendres conformes à ses idéaux, ne serait-ce pas un peu le ressort comique de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? ? La suspicion (doublé d’un désir d’élimination) envers un gendre supposé indigne de sa fille, ça ne relèverait pas du délire paranoïaque au cœur de Mon beau-père et moi ? Ces références, écrasantes, ne sont pas à l’avantage du Gendre de ma viequi ne transforme aucune de ses intentions corrosives en gags inoubliables ou en répliques cultes. Le malheureux Kad Merad fait ce qu’il peut avec le matériel qu’il a, flirtant même parfois avec le ridicule tant il exagère le trait pour déclencher l’hilarité. Very Kad trip.
Pierre Lunn
Et aussi
De boue de Georges Guilot
Reprises
Dark Crystal de Jim Henson
La huitième femme de Barbe Bleue d’Ernst Lubitsch
New York 1997dr John Carpenter
Yentl de Barbra Streisand
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