Le retour flamboyant et gagnant de l’héroïne de Bridget Jones après une décennie 2010 délicate.
C’est le rôle d’une vie ! Pour Renée Zellweger, actrice acidulée des années 1990 qui explosa en « girl next door » très british, interpréter Judy Garland relève du miracle. Il aura fallu que la comédienne ravage son visage à coups de bistouri puis vive une traversée du désert infernale à l’aube de ses quarante ans pour que son cuir se tanne du vélin dont sont faites les grandes actrices. Tels sont souvent les destins de cinéma. C’est donc à une Renée Zellweger en phase terminale de starification que Rupert Goold, metteur en scène de théâtre britannique réputé, pense pour interpréter une Judy Garland en fin de carrière. Tout spécialiste de Shakespeare qu’il est, les producteurs lui opposent un refus net. « Anne Hathaway – de dix ans sa cadette- ferait bien mieux l’affaire », lui explique-t-on. Mais Rupert tient bon et défend Renée bec et ongles. C’est elle ou personne. La comédienne, de son côté, se lance dans un entraînement vocal intensif pendant plus d’une année. Elle mange, elle dort, elle boit Judy Garland ! Bien lui en a pris. Sa performance mange l’écran. Elle interprète cette actrice cassée par les médicaments et par le système jusqu’à ce que leurs deux visages et leurs deux voix se mêlent de façon troublante. Il serait trop simple de voir ce rôle comme une performance à Oscar grâce à la transformation et au maquillage. Zellweger semble réellement habitée par son modèle. Sans jamais tomber dans l’imitation, elle rend compte de la complexité d’une vie de star lancée toute jeune et soumise à la pression d’un métier qui exige plus qu’il ne donne. Et finalement, elle nous parle autant d’elle que de Judy Garland.
Car la force de Judy est aussi dans sa problématique : être et avoir été ! Rupert Goold a ancré son film sur le dernier éclat de la chanteuse : sa série de récitals à Londres à la fin des années 1960 alors que ruinée, elle ne peut plus se payer l’hôtel et que son ex-mari récupère la garde de ses deux plus jeunes enfants. Librement adapté de la pièce de théâtre End of the Rainbow, Judy réinvente la dernière année de la star. Point n’était besoin, en revanche, de nous la montrer en mère courage avec des enfants qui n’ont pas l’âge qu’ils avaient à l’époque. A dire vrai, pour aimer Judy, il ne faut pas s’attendre à un récit authentiquement biographique ; c’est un film qui nous donne envie d’avoir croisé la route de ce petit bout de femme. A l’image de ce couple d’homosexuels, fans de Judy Garland (oui, c’est un peu cliché), qui expérimentent une rencontre surréaliste avec la star. Leurs scènes sont probablement les plus réussies du film - avec les chansons- car elles permettent à Renée Zellweger de sortir des figures attendues.
Le film évite surtout l’écueil du biopic chronologique. Et passe même sous silence certains points noirs de la vie de la star. Il est centré autour d’un unique flashback distillé tout au long du film : le tournage du Magicien d’Oz quand Judy avait 16 ans, trente ans auparavant. Là, on est témoin de l’autorité de Louis B. Mayer sur l’adolescente, des restrictions alimentaires qu’on lui impose, de la mise en scène de sa vie privée avec un autre comédien du studio, Mickey Rooney. Sous les feux des projecteurs, la jeune fille se fait voler son adolescence. Même si, là encore, il y a des raccourcis. La très autoritaire mère de Judy Garland est par exemple absente du tableau. La scène finale du film fait le lien entre les deux Judy (la débutante et la survivante) avec une interprétation ô combien poignante de « Over the Rainbow », le tube qui accompagna sa carrière. On est déchiré de l’intérieur par la force donnée aux paroles de la chanson de Dorothy. Là-bas, au-dessus de l’arc-en-ciel, il existait bien une vie pour Frances Ethel Gumm (son vrai nom). Le cinéma l’a prise.
Judy, en salles le 26 février 2020.
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