Après LOL et Une Rencontre, Mon Bébé est la nouvelle pièce de la filmo autofictionnelle de Lisa Azuelos.
Ce n’est pas vraiment une découverte. On connaît depuis plus de vingt ans les talents comiques de Sandrine Kiberlain. Dans Le septième ciel de Benoit Jacquot, elle jouait l’épouse modèle incapable d’atteindre l’orgasme et devenait le cœur d’un film qui flirtait avec la fiction psychanalytique et la comédie de remariage. Un an plus tard c’était Rien sur Robert : Bonitzer lui confiait des dialogues d’une rare crudité où elle confiait (divulguait) ses frasques sexuelles à son compagnon (Fabrice Luchini). Depuis elle est passée par tous les registres (de la comédie intello à la soupe populaire) et par tous les rôles (de la flic voyeuse de Tip Top à l’avocate frigide qui tombe enceinte un soir de beuverie dans 9 mois ferme). Mon Bébé pourrait n’être qu’un film de plus dans sa riche filmo rigolote. C’est un tout petit peu plus que ça. D’abord parce qu’elle est de tous les plans. Seule en scène. Ensuite parce qu’elle confiait elle-même sur la scène du palais des festivals que si Mon Bébé est une fiction autobiographique de Lisa Azuelos, le film a été nourri par sa propre histoire. Mais surtout parce qu’elle a rarement été aussi explosive, drôle, en liberté. En un mot : géniale.
Lisa Azuelos recrute Sandrine Kiberlain pour Mon bébéMon bébé est donc une nouvelle pièce du LACU (Lisa Azuelos Cinematic Universe). Des quadras/quinquas cools qui fument des joints dans des beaux apparts parisiens, parlent cul et problèmes de thune, et galèrent avec leurs progénitures (des jeunes déguisés en ados). Ici, Kiberlain incarne Héloïse, une célibataire parisienne libérée. Héloïse tient un restaurant, vit dans le VIIIème, sans mec et avec sa tribu de trois enfants. Sa vie bascule quand elle apprend que la dernière (son bébé donc) va quitter le cocon familial pour faire ses études à Montréal. Héloïse, est donc cette femme moderne avec ses faiblesses et ses forces, et la charge mentale pour emballer tout ça.
Quoiqu’on pense du film, Kiberlain déchire tout. Dans tous les plans du film elle éclabousse l’écran de sa vista comique et de sa beauté impérieuse. Mon bébé synthétise toutes les facettes de son incommensurable talent. Aisance et précision dans des scènes sans queue ni tête, implication totale et sans retenue dans le trash ou le kamikaze, et grand écart constant entre l’intime (l’autobio) et les sommets de la comédie populaire et universelle. La très grande classe. Le film se regarde d’ailleurs comme une démo de cet ébouriffant talent. Des exemples ? Dans une scène, elle rentre ivre avec son amant d’un soir, tente de l’emmener dans sa chambre sans réveiller les gosses et finit par l’abandonner dans le couloir, préférant se lover contre sa fille plutôt que dans les bras d’un inconnu. C’est rien, mais on sent à ce moment-là toute la dinguerie du personnage ; il y a une ébriété jubilatoire, une ivresse joyeuse et de guingois dans son jeu qui traduit la lucidité d’Héloïse et de la situation et donne une épaisseur impressionnante à son personnage. Il y a une scène, où convoquée par la proviseure parce qu’elle a aidé sa fille à tricher pendant un bac blanc, elle se fait recadrer. Elle commence par faire profil bas avant de retourner la situation en jouant l’hystérie. Un peu plus tard, scène de soirée. Ca boit, ça danse, ça fume. Combien d’actrices de son calibre seraient capables de s’agiter sur du Larusso avec une bouteille de champagne à la main ? Sans paraître ringarde, dépassée ou grotesque ? A l’Alpe d’Huez, on les compte sur les doigts d’une moufle.
Festival de l’Alpe d’Huez, jour 1 : la comédie française enfile son gilet jauneElle peut lâcher les répliques les plus vulgaires avec un naturel confondant, avant de faire chialer juste en s’asseyant sur un banc, essorée. En fait, tout lui est pardonné. Sa blondeur vénitienne sans doute. Ou alors, ce que Bozon avait appelé une fois "le comique étrange de la timidité". C’est cela : cette manière particulière de jouer à fond tout en retenue, cette étrange folie qui se cacherait derrière une sagesse et une gaucherie.
En la regardant dans Mon Bébé on a plusieurs fois pensé à Katharine Hepburn. Pour l’élégance féminin-masculin, pour ce sens du tempo comique qui est l’apanage des grandes, pour le côté excentrique anglais et cette façon de passer du très lisse à la folie pure en un clignement d’œil, pour l’espièglerie aussi et l’impertinence, marques d’une émancipation. Cette capacité surtout à, dès qu’elle entre dans une pièce, asseoir son allure à la fois fragile et impérieuse, toujours remarquable. C’est Hepburn, c’est Darrieux, hier, en compétition, Sandrine Kiberlain a écrasé la concurrence. Même la poule de Roxane y a laissé des plumes. Mais ça c’est une autre histoire.
Commentaires