L'adaptation de la BD d'Alan Moore et Kevin O'Neill est la dernière apparition à l'écran de Sean Connery. Voici son histoire.
Mise à jour du 12 juillet 2023 Massacrée par la critique, reniée par Sean Connery et désavouée par l'auteur Alan Moore, l'adaptation de La Ligue des gentlemen extraordinaires, sortie en 2003, est un échec à peu près total. "C'était un cauchemar", se souvenait Sean en 2011 dans une interview au Times. "L'expérience m'a beaucoup marqué. Elle m'a fait réfléchir au showbiz. J'en ai eu marre de parler avec des crétins". Que s'est-il passé ? Pour les 20 ans du film de Stephen Norrington, on vous raconte tout.
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Article du 25 août 2016 :
Univers parallèle
Lorsque le scénariste Alan Moore imagine La Ligue des Gentlemen extraordinaires en 1997, il s'agit pour le créateur de Watchmen et V pour Vendetta de donner un navire amiral à son label de bandes dessinnées ABC (America's Best Comics). Inspiré par l'oeuvre de l'écrivain Philip José Farmer, auteur de deux biographies de Tarzan et Doc Savage qui les relie aussi bien à Jack l'éventreur que Sherlock Holmes, Moore décide de réunir les héros de la littérature populaire de la fin du 19ème siècle dans le même comics. Mina Harker (victime de Dracula), le Capitaine Nemo, le Docteur Jekyll, l'Homme invisible et l'aventurier junkie Allan Quatermain luttent contre Moriarty dans la première série de BD puis contre les "Marsiens" de La Guerre des mondes dans la deuxième. Toujours en cours de publication aujourd'hui, l'immense univers parallèle de la Ligue contient désormais tous les héros de la fiction : c'est Hynkel (sorti du Dictateur de Chaplin) qui a déclenché la deuxième guerre mondiale tandis l'Angleterre était dominée par le Big Brother de 1984. Et l'avant-dernière série, Century, parvient même à inclure Harry Potter. Moore met à l'épreuve les héros dans un monde d'une brutalité immense, perdus dans un labyrinthe de références borgésiennes où chaque case, chaque second rôle est issu d'une œuvre pré-éxistante.
Vingt versions du script
Les BD From Hell et La Ligue tapent dans l'oeil du producteur Don Murphy, qui les achète pour le compte de la 20th Century Fox. Il engage l'anglais James Dale Robinson, co-créateur de Starman pour DC Comics, pour écrire le script qui se révèle être un vrai cauchemar. Le studio n'arrête pas de demander des réécritures. Robinson écrira vingt versions diférentes et la Fox lui imposera d'ajouter le personnage de Tom Sawyer à la Ligue, espérant se connecter au public américain. Les changements par rapport à la BD sont brutaux. Le féminisme et la violence sexuelle comme physique passent à la trappe, le studio voulant un film grand public surtout après le flop de From Hell (2001) sur la traque de Jack l'éventreur, film interdit aux moins de 17 ans. Mina Harker n'est plus la chef de l'équipe et dispose de pouvoirs vampiriques spectaculaires, l'Homme invisible n'est plus un traître et un violeur mais une sympathique canaille, on ajoute l'immortel Dorian Gray à l'équipe, Allan Quatermain n'est plus un vieux dégénéré camé à l'opium mais un ancien guerrier en pantoufles qui va devenir le chef de la Ligue. Ces changements auraient été faits à la demande de Sean Connery, qui accepta de jouer dans le film en échange d'un salaire conséquent (on parle de 17 millions de dollars) et du titre de producteur exécutif ayant un droit de regard sur le script. Connery regrettait de ne pas avoir accepté de jouer Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux et ne voulait pas passer à côté d'un film qui avait le potentiel de cartonner.
Un vrai Connery
Pour réaliser le film, Murphy choisit l'anglais Stephen Norrington, auréolé du succès surprise de Blade (1998), le premier film du renouveau des superhéros au cinéma. Monica Bellucci, intialement prévue pour jouer Mina Harker, est remplacée par l'australienne Peta Wilson. La Fox prévoit le film pour le 11 juillet 2003 en salles américaines et le tournage commence en août 2002 à Prague, mais les imposants décors figurant Venise sont ravagés par des inondations. Le tournage se déplace à Malte mais la production prend un retard difficile à rattraper : la Fox ne laisse aucune marge à Norrington, qui se prend régulièrement la tête avec Sean Connery, ce dernier refusant régulièrement de refaire des prises. En novembre 2002, les deux hommes en viennent presque aux mains à cause d'une bête histoire de fusil qui ne fonctionne pas. Norrington parvient à livrer un montage du film en mars 2003, quatre mois avant la sortie. Quelques scènes disparaissent sans grand dommage (la mention de Huckleberry Finn, partenaire de Tom Sawyer, et deux scènes avec la fille d'un scientifique qui sont dans les bonus du Blu-ray). Mais c'est surtout au niveau des effets spéciaux visuels que le film va le plus souffrir, le calendrier et le budget serrés imposant à la production de disperser le traitement des VFX à pas moins de 25 compagnies différentes, empêchant une bonne vision cohérente du résultat fini.
Classé LXG
La Fox prépare la promotion du film sous le titre LXG, espérant le faire passer pour un X-Men steampunk (le studio avait prévu X-Men 2 en mai 2003, trois mois avant La Ligue). Tandis que le casting -y compris Connery- assure normalement la promotion du film, Norrington est absent des interviews. La Ligue des gentlemen extraordinaires sort bien aux Etats-Unis le 11 juillet 2003. Une semaine après Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl qui écrase complètement le Norrington. La semaine suivante, au tour de Bad Boys 2 de s'essuyer les pieds dessus. Le film terminera sa carrière américaine à 66,4 millions de dollars (mieux toutefois que Lara Croft : Tomb Raider, le Berceau de la vie, flop oublié de cette année avec 65,6 millions), 44ème plus gros succès de l'année 2003 et loin de son budget estimé à 78 millions. A l'arrivée, le film se fait descendre brutalement par la presse américaine malgré l'énergie certaine de ses scènes de combat (le réalisateur seconde équipe est le vétéran Vic Armstrong). L'année 2003 fut un tournant au box-office américain : pour la première fois, la différence entre première et deuxième semaine d'exploitation plongea en moyenne de plus de 50% pour les gros films. Le premier week-end devint crucial. Le film fut toutefois un succès plus que correct à l'étranger (notamment en Allemagne, au Japon, en Angleterre et en Espagne) avec un total de 112 millions. Et en France, La Ligue atteignit le million d'entrées (sortis en 2003, Daredevil fit 1,3 million et Hulk 1,6 million). Pas suffisant pour la Fox. Les acteurs avaient signé un contrat pour une trilogie de films mais le deuxième Ligue, qui devait adapter La Guerre des mondes comme dans la BD, ne se fera pas. Première fit bon accueil au film, le qualifiant à sa sortie en octobre 2003 de "superbe réflexion poétique sur le tournant des siècles et l'évolution des conceptions de divertissement" et ce malgré sa production difficile, grâce aux personnages de Dorian Gray, de Mina Harker et de Quatermain -oui, même la version sobre du film.
Moore à crédit
La Ligue devait encore livrer une bataille. En septembre 2003, Larry Cohen (Phone Game) et Martin Poll (producteur du Lion en hiver) attaquent la Fox en justice pour plagiat. Larry et Martin affirment avoir proposé plusieurs fois au studio un projet nommé A Cast of Characters, au pitch identique à celui de La Ligue. Qui plus est, les compères accusent la Fox d'avoir commandité le comics pour prouver leur antériorité sur l'idée. L'affaire se réglera "à l'amiable" pour une somme inconnue. Mais surtout, la justice auditionna Alan Moore pendant des dizaines d'heures (par des enregistrements vidéos, Moore refusant de quitter sa ville de Northampton) pour savoir s'il avait copié les idées de Poll et Cohen. L'un de leurs principaux arguments : Tom Sawyer et Dorian Gray apparaissent dans A Cast of Characters et dans le film -et ce bien que les deux personnages ne sont pas dans la BD de Moore et O'Neill (Dorian Gray apparaît juste dans une page de jeu à colorier) et fassent partie du domaine public. L'absurdité de la plainte n'empêche pas la justice de prendre l'affaire au sérieux. "J'aurais été mieux traité si j'avais vendu de la drogue à des enfants handicapés", aurait déclaré Moore, heurté par le manque de considération de la Fox pour le défendre. Moore a refusé de voir le film. Si son nom apparaît au générique (et sur une affiche dans le film à côté de celui de Kevin O'Neill), ce sera la dernière fois : Watchmen de Zack Snyder se contente d'indiquer "d'après la BD co-créée et illustrée par Dave Gibbons". Et Alan ne voudra même plus toucher d'argent pour les films adaptés de ses œuvres (Constantine, V pour Vendetta et Watchmen), dont les droits sont détenus de toutes façons par l'éditeur DC Comics.
"La retraite, c'est l'éclate"
Le concept de La Ligue reste attirant. Une série télé a été annoncée en 2013, écrite par Michael Green (scénariste de Green Lantern et du futur Blade Runner 2). Mais la Fox a décidé de ne pas la développer, préférant annoncer un reboot du film en mai 2015. Le studio a peut-être été influencé par le bon accueil fait à la série télévisée extrêmement inspirée de la BD de Moore et O'Neill Penny Dreadful (2014-2016) sur Netflix, qui réunissait notamment Victor Frankenstein et Dorian Gray face à Dracula tandis que Timthy Dalton campe un ancien explorateur qui ressemble beaucoup à Quatermain. L'échec du film a aussi enterré Stephen Norrington, qui a fait voeu de ne plus rien réaliser, du moins pas pour un gros studio. Il a été un temps rattaché au projet de reboot de The Crow désormais entre les mains de Corin Hardy (Le Sanctuaire), mais consacre son temps libre à créer des monstres de cinéma : il a signé des concept arts pour Blade Trinity et il a sculpté des monstres pour le DTV Harbinger Down avec Lance Henriksen. Quant à Sean, il s'est contenté de doubler le héros du film d'animation écossais Guardian of the Highlands (inédit en France) en 2012. Il n'a plus jamais joué, sur petit ou grand écran. Et voilà ce qu'il a répondu après avoir annoncé qu'il refusait de rempiler dans Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal : "en fin de compte, la retraite, c'est l'éclate".
La Ligue des Gentlemen extraordinaires a été réédité en Blu-ray chez la Fox en 2010.
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