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La saison 6 de la série Un Village français démarre ce 18 novembre sur France 3.

Situés pendant l’été 1944, les six premiers épisodes de la saison 6 d'Un Village français décrivent les prémices de la libération de Villeneuve et exacerbent la violence et le chaos moral dans lesquels baignent les protagonistes. Avant la diffusion de six autres épisodes en 2015 puis d'une saison 7 en forme d’épilogue en 2016, cette demi-saison amorce donc la dernière ligne droite de cette foisonnante série historique créée en 2009 par Frédéric Krivine, Emmanuel Daucé et Philippe Triboit et fait preuve d’une maestria aussi impressionnante que macabre. Pulsions de mortSi la saison 5 d’Un Village français s’achevait par un pur geste de suspension (l’interruption soudaine des activités de la troupe de théâtre d’Antoine marquant la fin d’une parenthèse artistique qui avait su offrir une dimension onirique et utopiste à la série), la saison 6, qui débute le 25 août 1944 après une ellipse de 9 mois, entre de plain-pied dans la réalité politique puisque la radio annonce la libération de Paris à travers la voix du général de Gaulle (« Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! »). Fidèle à son art du contre-pied, la série montre cependant l’évènement du point de vue des miliciens, des policiers et du préfet Servier (Cyril Couton), soit les plus fervents partisans du régime de Vichy, dont les mines sombres et funestes prédisent qu’une nouvelle guerre va commencer avec le départ imminent de l’armée allemande. Allant à l’encontre des images de joie collective généralement associées à la libération de la France, ce début de saison 6 annonce sa couleur narrative, qui sera celle d’un affrontement franco-français et d’un déchaînement de violence entre collaborateurs et résistants (« du sang juif et anti-français va couler sous les ponts » annonce avec fracas le chef de la milice locale).Entre Allemands décidés à faire régner une dernière fois la terreur, miliciens cherchant à exécuter quelques ultimes « terroristes » avant de s’enfuir et profondes divisions au sein du Comité de Libération concernant les actions à mener pour s'emparer de Villeneuve, cette saison 6 traite de la façon dont la sauvagerie se libère elle aussi à l’approche du changement historique, comme si les pulsions de mort contaminaient soudain toutes les âmes (« Aujourd’hui c’est important de ne tuer que des innocents » dira un personnage dans l’épisode 3). Dans ce paysage historique qui se redessine et qui implique pour certains de trouver une voie de sortie – c’est le cas de l’inspecteur Marchetti (Nicolas Gob), du nazi Heinrich Müller (Richard Sammel) ou dans une moindre mesure du médecin Daniel Larcher (Robin Renucci) – et pour d’autres de quitter enfin la clandestinité pour s’adapter à un nouveau statut de libérateurs – c’est le cas de Suzanne (Constance Dollé), de Marie Germain (Nade Dieu) ou d’Antoine (Martin Loizillon) -, l’enjeu essentiel consiste à se projeter dans l’avenir afin d'opérer des choix plus déterminants que jamais. Car c’est finalement moins une logique de conflit idéologique qu’un anéantissement définitif des repères moraux qui se joue au crépuscule de l’occupation allemande. Si les personnages peuvent enfin commencer à dresser un bilan de leurs agissements depuis le début de la guerre («On a été trop mous » déplore ainsi Janvier, le chef des miliciens, tandis que Servier rappelle à Daniel Larcher que certains actes devront être payés au prix fort), le désir de revenir à une vie tranquille, notamment émis par Raymond Schwartz (Thierry Godard), paraît de plus en plus irréalisable tant la guerre a créé une césure psychologique et semé des tragédies indélébiles. En quête de solutions, les protagonistes se noient pour la plupart dans un océan d’impasses qu’il faut pourtant tenter de résoudre : « C’est ça la défaite, des problèmes sans solutions » confie, la mort dans l'âme, Heinrich Müller à Hortense Larcher (Audrey Fleurot).Même si l'institutrice Lucienne estimera qu’« avec la chance et le temps, toutes les blessures peuvent se soigner », la période de transition ici observée n'engendre aucun apaisement. Cet entre-deux où l’on attend qu’une nouvelle autorité prenne le contrôle de la région donne l'impression que les personnages - et la série elle-même - se trouvent au purgatoire, dans une antichambre où la recherche du sens et de l’intérêt s’avère particulièrement floue. Les points de vue se renversent, les regards sur soi-même sont amenés à changer (Marchetti découvre qu’il est surnommé « le Boucher de Villeneuve » par les résistants) et le besoin d’improviser pour sauver sa peau donne lieu à des séquences d'une maîtrise aussi jubilatoire qu'angoissante, la série s’en donnant à cœur joie dans un art du suspense qu'elle cultive malicieusement depuis ses origines. Au lieu de tomber instantanément avec l'arrivée d'un nouveau contexte politique, les masques se redéploient et chaque personnage tente de transiger avec les consignes reçues pour rester à l’écoute de ses affects et de ses sentiments. Faisant revenir d'anciens protagonistes à des fins plus mélodramatiques, Un Village français assume ainsi avec brio sa sempiternelle marque de fabrique : parler autant d'élans amoureux que de lutte armée ou d’engagement éthique.Célébration émue du sentiment amoureuxAutre habitude de la série ici renouvelée : le recours aux dialogues qui font référence au présent et usent d’un vocabulaire suscitant chez le spectateur un écho avec l’année 2014. Quand Servier estime que « dans les situations de crise, ce qui est difficile n’est pas de faire son devoir mais de le discerner » ou que « l’Etat français est gravement malade, mais il n’est pas mort », le contexte hexagonal contemporain pointe discrètement à l'horizon. Mais plutôt que de se muer en donneuse de leçons ou de constater avec accablement les dangereuses similarités entre époque passée et présente, Un Village français cherche surtout une vitalité et une vraisemblance comportementales, condition sine qua non de sa belle imprévisibilité stylistique et narrative. Bien que cette demi-saison rappelle comment un personnage (Alban) a pu se retrouver dans la milice sans réelles convictions pro-fascistes, comment le notable Raymond Schwartz a épousé la cause de la résistance par amour et pragmatisme ou comment l’ancien maire Daniel Larcher se trouve en position d’être accusé de collaboration alors qu’il a d'après lui seulement voulu préserver l’intérêt général, elle n'expose pas ces destins dans le but de prouver avec détachement que tout est réversible et excusable mais insiste au contraire avec virulence sur la dramatique importance des décisions prises. A grands renforts de décadrages de plans, qui indiquent que les consciences cherchent encore leur positionnement au sein de l’image et de la mythologie en marche, cette saison 6 insiste sur l'aspect physique, concret, voire corporel, des conséquences à venir. Refusant de tout graver dans le marbre, la caméra d’Un Village français se met en quête d’un mouvement permanent qui fait écho au bouillonnement intérieur des protagonistes, campés avec maestria par un casting décidément impressionnant (même Antoine Mathieu, dans la peau de l’éternel second rôle Edmond, impose ici un charisme grandissant alors que les résistants communistes sont sommés d'accepter l'arrivée du gouvernement provisoire à dominante gaulliste).Chargée en violence nue et en barbarie (les épisodes 1 et 3 contiennent parmi les séquences les plus traumatisantes de la série, tant le meurtre y apparaît comme froid et détaché de toute stratégie militaire), la saison 6 d’Un Village français fait sienne la notion de jusqu’au-boutisme en filmant une mort qui touche aussi - et surtout - ceux qui auront été les plus intègres durant l'occupation. Ce long chant funèbre qui parcourt les six épisodes (et qui approche la puissance d'une oeuvre comme Le Chagrin et la Pitié) connaît d'ailleurs de stimulantes variations puisque l'extrême brutalité des premiers épisodes laisse progressivement place à une atmosphère plus lumineuse et contemplative. A nouveau terrain d'expression du romantisme, l’école de Villeneuve et ses chambres éclairées à la bougie vont instaurer un retour à la célébration du sentiment amoureux, où l'expression de la violence n'est plus perçue avec la même appréhension et où la mort apparaît comme une épreuve qu’il faut savoir accepter pour mieux se définir en tant qu’individu pacifiste. Telle une toile de fond qui constitue l’écorce de cette demi-saison, l’atmosphère funèbre devient notamment pour Lucienne un environnement naturel dont elle ne peut plus s’extirper et qui rend sa trajectoire sentimentale d’autant plus remarquable. L'ouverture de l’épisode 6, évoquant un tableau flamand, fait ainsi de l’amour et de la mort deux éléments intimement liés et dignes de sublimation esthétique. Avançant à travers les évènements historiques sans se renier ni oublier ses atouts, Un Village français dévoile alors un ultime cliffhanger qui, plus qu’un acte de manipulation du spectateur, témoigne de la confiance en soi et en son pouvoir addictif qu'a acquise au fil du temps cette série aux si flamboyantes passions.Damien Leblanc (©Laurent Denis / FTV)