Après une deuxième saison d'une force incroyable, The Leftovers peut tranquillement être qualifiée de chef-d'oeuvre. Une série touchée par la grâce.
Des instantanés de moments de joie pure, où les disparus ne veulent pas totalement prendre congé de ceux qui restent. La musique country/folk d’Iris DeMent aux paroles emplies d’une vérité aussi évidente que transcendante : "Tout le monde s’inquiète de savoir où on ira quand tout sera fini (…) / Certains disent qu’une fois parti c’est pour toujours / Certains disent qu’on va revenir / Certains disent qu’on se repose dans les bras du Sauveur (…) / Personne n’est sûr de rien / Je crois que je vais laisser planer le doute".
Le générique de la saison 2 de The Leftovers résume à lui seul les enjeux d’une série racée qui - n’ayons pas peur des mots - s’est transformée en chef-d’oeuvre en vingt épisodes. L’histoire de personnages complexes, brisés, déracinés, perdus, endeuillés. En quête de sens et condamnés à apprendre à vivre "après". Dans ce monde imaginé par Damon Lindelof et Tom Perrotta (auteur du roman éponyme dont s’inspire The Leftovers), 2 % de la population a disparu en un claquement de doigts, sans signes avant-coureurs. Certains y ont perdu des proches et tentent d’accepter l’inacceptable, d’autres ne savent plus comment avancer après une telle tragédie et rejoignent les rangs des ascétiques Guilty Remnant. Un culte dont les membres font voeu de silence, s’habillent en blanc pour se différencier du reste de la population et fument cigarette sur cigarette. Ils se voient comme des rappels vivants de la toute-puissance divine.
Un mystère qui restera entier
Des causes du "ravissement", on ne saura rien. Preuve que Lindelof a appris de ses erreurs passées avec Lost, série majeure des 00’s qu’il alimentait chaque semaine au storytelling de petit malin. Jusqu’à ce que le cliffhanger en cascade devienne un terrible poids mort à traîner dans une dernière saison mal reçue par les fans comme par la critique.
Avec le rythme apaisé de The Leftovers et un refus obstiné des effets de manche, il signe le meilleur drama de ces dernières années (oui, le meilleur) et a achevé dimanche dernier une deuxième saison qui tutoie la perfection. En 2015, la série est définitivement entrée dans la légende du petit écran, même si ses audiences ridiculement faibles aux États-Unis sur HBO ne lui assurent pas la visibilité d’un Breaking Bad ou d’un Fargo. Mais l’engouement qu’elle génère est tel qu’elle vient de se voir offrir contre toute attente une troisième et ultime saison. Comme un pied de nez bienvenu aux Golden Globes qui viennent de la snober.
Si, comme beaucoup, vous n’êtes pas encore monté à bord, sachez qu’on y suit Kevin Garvey - Justin Theroux, d’une puissance émotionnelle proprement stupéfiante -, chef de la police de la petite ville de Mapleton. Suite à l’événement survenu le 14 octobre, sa femme a rejoint les Guilty Remnant et il doit s’occuper seul de sa fille, gérer un père en proie à des hallucinations (ou bien…), tout en évitant que la secte locale ne provoque un bain de sang.
Sur leur route vers des lendemains meilleurs, ils croiseront une galerie de personnages aussi mal en point qu’eux : une femme brisée qui a perdu ses deux enfants et son mari (Carrie Coon, épatante), un prêtre qui garde la foi envers et contre tout (Christopher Eccleston dans son meilleur rôle) dont la compagne est paralysée depuis le ravissement… Ainsi décrit, le tableau peut sembler particulièrement noir. Il l’est. The Leftovers, c’est avant tout la confrontation à l’absence de l’autre, la colère plus ou moins larvée et la terrifiante culpabilité du survivant. Pourquoi suis-je toujours là quand tant d’autres ont disparu ? Comment aller de l’avant quand plus rien ne fait sens ?
Petit à petit, avec une délicatesse mâtinée de brutalité toujours à propos, Kevin Garvey et les autres passeront par toutes les étapes du deuil, du déni initial à jusqu’à faire la paix avec ce qu’ils sont. Jusqu’à avoir littéralement battu leurs démons intérieurs, de nouveau capables de se mouvoir. Ressuscités.
La douleur, partout
Bâtie comme une cathédrale émotionnelle à l’âpreté sidérante, The Leftovers assume pleinement son pouvoir lacrymal et sa volonté de s’attaquer à l’indicible. Elle charme, émeut (toujours), pose des questions fondamentales sur le sens de la vie sans jamais en avoir l’air. "Je ne comprends pas ce qui se passe", lâche dans le dernier épisode un personnage dans le même état que les Français le soir du 13 novembre. L’actualité a rattrapé la série, lui offrant malgré elle une nouvelle grille de lecture encore plus sinistre. Dans un entretien à Variety, Lindelof se défend pourtant d’avoir voulu évoquer le terrorisme : "Pour moi, ce n’est pas une métaphore du 11-Septembre, c’est une métaphore de la mort. Quand la mort arrive, c’est un choc soudain et c’est permanent. Il n’y aucune réponse". Pas de réponses non, mais des témoignages sur le courroux et la tristesse qui nous agitent. Sur cette envie de ne plus rien ressentir, de se venger ou de se tourner vers un dieu pourvoyeur de courage.
Les Guilty Remnant, c’est à la fois Daesh et la radicalisation religieuse qui s’infiltre sournoisement. L’image d’une société qui ne tourne plus vraiment rond, où la peur et la colère sont devenus les principaux moteurs. L’écho aux récents événements en devient assourdissant dans les derniers épisodes de la saison 2 dont, sans trop en dire, l’intrigue tourne autour de la petite ville de Jarden. L’une des seules où aucun habitant n’a été touché par le ravissement et dont l’accès est devenu plus protégé que la Maison-Blanche. D’immenses grilles se dressent autour de celle qu’on surnomme Miracle, dont l’accès est désormais régulé par des postes de contrôle.
Des centaines de personnes vivent dans des campements de fortune autour de la bourgade, avec l’envie d’entrer à l’intérieur pour y trouver une supposée sécurité. Impossible de ne pas penser aux flots de malheureux qui se pressent à Calais et aux frontières de l’Europe pour tenter de mettre un pied dans un monde meilleur. Toute la force d’un show qui nous renvoie constamment à nos interrogations sur notre capacité à vivre avec des oeillères, sur la mort, sur l’après. Des obsessions déjà développées par Lindelof dans Lost, qui s’expriment ici dans leur forme la plus pure. Personne n’est épargné par la douleur, surtout pas le téléspectateur. Rarement une série nous aura permis d’entrer aussi profondément dans les esprits de ses personnages, là où se terrent les pensées les plus sombres (les plus belles, aussi). Chaque épisode est un coup de matraque et une bonne moitié d’entre eux vous serrent à la gorge avec une violence inouïe.
Et après un statement ahurissant en guise d’ouverture, la deuxième saison a encore fait un pas en avant, se débarrassant totalement du superflu, agitant sans rougir le spectre du mystique pour mieux soumettre ses protagonistes à l’acceptation. "Where is my mind ?", nous demande une reprise au piano des Pixies belle à en pleurer. On serait bien en peine de vous le dire.
Une lueur d'espoir
Dans cette obscurité généralisée, The Leftovers a l’intelligence d’injecter une dose d’espoir et sous-tend que la famille (peu importe sa forme) est le dernier phare sur Terre. Pas besoin d’avoir toutes les réponses à ces questions qui nous rongent quand on sait où est sa maison. D’où l’appréhension vertigineuse d’un homme, dans ce dialogue entre deux voisins qui s’apprêtent à passer le pas de leurs portes respectives après une tragédie : "Et s’il n’y a personne chez moi ?" "Alors tu viendras chez moi". Encore humains, après tout.
The Leftovers est diffusée en France sur OCS. La saison 1 est disponible en Blu-ray et DVD.
Commentaires