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Vous tournez au rythme métronomique d’un film tous les deux ans. L’idée du Grand soir vous-elle venue sitôt la promo de Mammuth terminée ?Benoît : C’est un processus assez complexe. On est toujours plus ou moins en phase de réflexion avec plusieurs pistes potentielles. On avait ainsi commencé par envisager une histoire d’auto-entrepreneur joué par Dupontel qui se mettait à enquêter sur le 11 septembre... Tu vois, c’est très loin ! (rires) Après, on a bifurqué sur deux types parcourant une route des vins, enfin, nous sommes arrivés au film que tu as vu. Mais, à chaque fois, il y avait des trouvailles, des scènes qu’on a conservées. Le déclic, ça a été la zone commerciale. Subitement, tout ce qu’on avait écrit prenait sens.L’idée de base, c’était aussi d’associer Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel, non ?Benoît : Bien sûr. C’est quand même hallucinant, quand tu y penses, que deux acteurs du même âge avec un sens de l’humour aussi proche n’aient jamais été réunis dans un film.Poelvoorde et Dupontel ont la réputation d’être difficiles à gérer sur un plateau, comme Depardieu. Vous aimez ça, vous, les gens un peu incontrôlables ?Benoît : Mais Je les trouve carrément normaux, moi ! Ce sont des animaux comme nous, imprévisibles. J’ai beaucoup plus de problème avec les acteurs qui font les acteurs, qui se font des nœuds dans la tête à propos de leurs personnages...Gustave : Il ne faut pas parler mise en scène avec Albert, en revanche. Il ne comprend pas qu’on ne découpe pas plus. Sur le tournage, il nous suggérait sans cesse de faire des gros plans pour nous couvrir. Sa grande phrase, c’était : « On sait jamais »... Nous, on fait un plan et puis basta, on passe à autre chose.Benoît : Dans la scène où Albert parle au paysan en train de se pendre, on a sciemment filmé en plan d’ensemble en laissant le type dans une semi-obscurité. On voulait qu’il y ait un mystère. Après la prise, Albert est venu nous demander : « Vous avez sa tête ? Elle est incroyable ! Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas un plan serré ? » (rires) Quand on lui a montré le film terminé, il a halluciné...Gustave : On voit à peine la corde ! Notre manière de tourner est une énigme pour lui. Pour Kassovitz aussi (il a fait des caméos dans “Avida” et “Louise-Michel”).Benoît : Tu te souviens du délire autour du monologue interminable sur le 11 septembre de Poelvoorde dans Louise-Michel ? Au montage, Kasso nous dit : « Mais vous avez bien un plan de coupe sur le feu, sur les bûches ? » Il était fou de rage ! Le premier plan qu’on ait tourné dans notre vie, c’était celui de Benoît de dos qui parle à son fils pendant une course de cyclo-cross dans Aaltra. On ne voulait le voir que de dos - de cul, en l’occurrence -, ça nous faisait marrer. Une fois la prise finie, on décide de passer à autre chose. Notre producteur Vincent Tavier nous demande alors gentiment de faire un contre-champ qu’on refuse. Il avait hurlé : « Vous rigolez ? On a Benoît Poelvoorde et on ne voit pas sa gueule ? » (rires)Dupontel dit tout de même qu’on sent chez vous une « gamberge du cinéma ». Benoît : Si tu n’as pas envie de te retrouver dans une fiction française, tu essaies de trouver une façon originale de montrer les choses, sans trop découper.Gustave : Tout est parti d’Aaltra, où il n’y avait quasiment pas de dialogues par opportunisme : Benoît et moi ne sommes pas acteurs. Il fallait donc que les gens comprennent le film visuellement. Ça a été notre meilleure école. On a ensuite panaché avec plus de dialogues, des plans qui bougent...Benoît : On n’a pas envie de refaire la même chose à chaque fois même si notre réalisation restera toujours simple. On est en quête de vérité, de naturel, parfois d’un peu de grâce. On imagine d’ailleurs des espèces de « pièges à grâce ».Propos recueillis par Christophe NarbonneEt si vous les aviez loupées, retrouvez aussi les interviews vidéos surréalistes réalisées à Cannes avec Dupontel et Poelvoorde ("On a eu cette petite fiotte de Brad Pitt"...), et Kervern et Delépine :