Premières impressions sur la série "sex, drugs and rockn'roll" de HBO.

Martin Scorsese n’est plus le même depuis qu’il a rencontré Terence Winter. Comme si l’ex-auteur des Soprano, le scénariste-star de la maison HBO, avait réveillé Marty. Ce n’était pas encore tout à fait palpable au moment de leur première collaboration, en 2010 - le pilote de Boardwalk Empire était un peu trop compassé, "slow-burn", comme le reconnaît Winter lui-même, long à la détente. Mais Le Loup de Wall Street (aka "le meilleur Scorsese depuis Casino") a changé la donne. Soudain, le cinéma du génie assoupi s’est remis à vibrer. A bouillonner. A sentir à nouveau le stupre, le vice et la folie. Finis les mondes sous cloches, comme baignant dans le formol, de Shutter Island, Aviator et Hugo Cabret. Retour au danger, à l’adrénaline et à l’électricité. Vinyl a clairement été envisagée comme une petite sœur sous acide du Loup de Wall Street, débarrassée de tout cynisme et de toute misanthropie, où il n’est plus question de traders demeurés mais de baby-boomers allumés.

A l’origine, Vinyl était un film. Successivement intitulé The Long Play et History of Music, il a germé dans l’esprit de Mick Jagger, qui l’imaginait comme "un Casino dans l’industrie du disque". Le chanteur en a logiquement touché un mot à Scorsese, fan de rock notoire qui a passé sa vie à frayer avec des musiciens et case des morceaux des Stones dans ses B.O. de manière obsessionnelle. Mais la crise économique de 2008 est passée par là, aucun studio ne voulait plus financer ce projet fou, et Winter a fini par transformer le script du chef-d’œuvre fantasmé en pilote de série télé. C’est l’histoire de Richie Finestra (l’irrésistible Bobby Cannavale), patron d’un label à l’agonie dans le New York des seventies. Un homme à la croisée des chemins. Les factures s’amoncellent, il est en train de perdre la foi. Mais la drogue est une vieille compagne toujours aussi séduisante et la musique est en pleine mutation : le punk, le disco et le hip-hop tambourinent à la porte de ce bon vieux rock’n’roll. La ville, elle, semble au bord de l’implosion.

Vinyl : comment Mick Jagger a inspiré Martin Scorsese (et vice-versa)

On redoutait les pesanteurs de la reconstitution vintage, le Musée Grévin à la Jersey Boys, mais Scorsese réussit ici un tas de choses ahurissantes. Des choses qui ne devraient pas marcher : reconstitutions surexcitantes de concerts de Led Zeppelin et des New York Dolls ; apparition surréaliste de Bo Diddley au clair de lune ; évocation impressionniste d’un show d’Otis Redding… La série s’envisage manifestement comme une plongée dans un juke-box grandeur nature, braillard et clinquant. C’est un hymne à la musique, au rock comme religion, à toutes les addictions. Dans une séquence géniale qui fonctionne comme un raccourci fou de toute la carrière de Scorsese, Richie Finestra monte dans un taxi pour s’enfoncer dans les bas-fonds de la ville. Souvenez-vous qu’on est à New York au mitan des 70’s. Et Scorsese décide de plaquer à ce moment-là une poignée de plans directement prélevés dans Taxi Driver. Ça devrait puer la mort, empester la pantoufle, ressembler au stade terminal de l’auto-embaumement, mais ça dit en réalité tout l’inverse : la stupeur absolue de Scorsese (et Jagger avec lui) d’être encore en vie. Comme s’ils n’en revenaient pas d’être encore là, quarante ans après, à remuer leurs vieux souvenirs cocaïnés. Beaucoup de drogue a coulé dans leurs veines, encore plus de musique dans leurs oreilles. Et tout Vinyl palpite de leur joie pure d’avoir réussi à sortir vivants de l’œil du cyclone et de pouvoir en témoigner.

Ceci posé, la question de savoir si l’épisode fonctionne en tant que pilote de série télé est une autre affaire. Sa durée exceptionnelle (1h50 !) le place clairement à part, hors-concours. Voici un Scorsese-movie miniature, bien obligé d’en passer par quelques inévitables scènes d’exposition un peu pataudes (les flash-backs sur les années de formation du héros), mais qui semble surtout se contrefoutre de ceux qui auront la lourde tâche de lui succéder. On souhaite bon courage aux réalisateurs des épisodes suivants, condamnés à suivre un tempo scorsesien (raccords épileptiques, citations cinéphiles hallucinées…), par essence inimitable. Et tant pis après tout si Vinyl doit baisser d’un ton par la suite. Les personnages sont en place (l’assistante conquérante jouée par la coolissime Juno Temple, le punk héroïnomane incarné par Jagger Junior…), et il y a même un début d’intrigue policière. La série se contentera peut-être d’être un workplace TV show dans une maison de disques, une sorte de néo-Mad Men en rouflaquettes et cols pelle à tarte. Mais rien que pour la dernière séquence du pilote - l’une des scènes les plus électrisantes et belles tournées par Scorsese depuis un quart de siècle - ça valait le coup. Dans une salle de concert filmée comme une église, un homme y meurt pour nos pêchés - la sainte trinité sex and drugs and rock’n’roll. Il meurt, puis ressuscite, comme tant d’idoles scorsesiennes avant lui, comme Travis Bickle et Jésus Christ. Ça y est, le film est terminé. La série peut commencer.

Vinyl, sur HBO à partir du 14 février et sur OCS City à partir du 15 février à 20h55.