Avec cette série Arte en trois épisodes menée par Grégoire Colin et Évelyne Brochu, le réalisateur Nicolas Saada signe un nouveau précis d’espionnage et de mélo de couple. Imparable.
Dès le début, Thanksgiving plonge ses spectateurs dans un monde de faux-semblants, de doutes et de troubles entêtants. Elle ressemble à du Nicolas Saada : un objet élégant et mélancolique, une machine à fantasmes cinéphiles qui laisse médusé. Mais c’est plus qu’un exercice de style. Saada y creuse un peu plus ses obsessions : la séduction, le rapport aux femmes et au cinéma, et son fétichisme pour l’espionnage, le tout emballé dans un minimalisme où chaque cadre est pensé.
Cette mini-série raconte l’histoire d’un couple qui bat de l’aile. Elle est riche, belle et américaine. Lui est le patron d’une start-up qui doit lancer un nouveau logiciel anti-espion dans les semaines qui viennent. Alors que la sortie approche, un concurrent annonce travailler sur un système identique. Et le spectre d’un espionnage industriel prend corps. La police soupçonne tout le monde et surtout sa femme...
La confusion entre le monde de l’espionnage et les sentiments est un thème de fiction aussi vieux que le cinéma. En lisant cette phrase vous aurez tous pensé à Hitchcock. De fait, il y a dans Thanksgiving de nombreux échos aux Enchaînés et à La Mort aux trousses. Mais pas seulement. Il y a surtout beaucoup d’Espion(s), premier long métrage de Nicolas Saada. Et comme ce film, la force de sa série réside dans l’équilibre instable que le cinéaste tisse entre le thriller et l’histoire intime. L’évolution du couple dépend en effet de la résolution de l’intrigue, et Thanksgiving fonctionne précisément parce que les stratégies de mensonges industriels et la reconquête amoureuse se répondent. On pense aussi à John Le Carré. À l’instar de l’écrivain, Saada traque la solitude, le pessimisme, et joue avec les masques. Il cherche d’abord à révéler (ou à manipuler) la mélancolique turpitude des hommes et il le fait avec son style suprême : pas de clinquant, pas de gadgets. On navigue dans un climat de doute et d’oppression, grâce à un montage et à des plans qui respirent et qui parviennent surtout à transcender le matériau scénaristique ou la production. Sous sa caméra scalpel, un appartement devient une prison kafkaïenne ; une salle de réunion une cellule d’interrogatoire... Dangereux et paranoïaque, Thanksgiving est une réussite, la réponse française à The Americans.
Thanksgiving, de Nicolas Saada, 3 épisodes, sur Arte ce jeudi 28 février 2019.
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