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Retrouvez l'intégralité du disours qui a déclenché les applaudissements de la salle.

Rien n’aura été aussi marquant hier soir aux Golden Globes 2018 que le discours engagé d’Oprah Winfrey, qui recevait le prix Cecil B. DeMille pour l’ensemble de sa carrière. Un message d’espoir pour les femmes de toute la planète que nous retranscrivons ici en intégralité.

Le discours poignant et engagé d’Oprah Winfrey aux Golden Globes 2018 (vidéo)

« Merci à tous. En 1964 j’étais encore une petite fille assise sur le sol en lino de la maison de ma mère dans le Missouri. Et je regardais Anne Bancroft remettre l’Oscar du meilleur acteur, pour la 36e cérémonie. Elle a ouvert l’enveloppe et dit cinq mots qui ont fait l’Histoire : ‘Le gagnant est Sidney Poitier’. Sur scène est arrivé l’homme le plus élégant que je n’avais jamais vu. Je me souviens de sa cravate blanche et de sa peau noire. Je n’avais jamais vu un homme noir honoré de cette façon. Et j’ai essayé des tas de fois d’expliquer ce qu’un moment comme celui-ci représente pour une petite fille, une enfant qui vient de nulle part, alors que ma mère, une femme de ménage, rentrait épuisée à la fin de sa journée de travail. L’explication tient dans la la performance de Sydney dans Le Lys des champs, que je ne peux que citer : ‘Amen, amen’. En 1982, Sydney a reçu la même récompense que moi aux Golden Globes, et je sais qu’il y a d’autres petites filles en ce moment même en train de regarder la télévision, alors que je deviens la première femme noire à recevoir ce prix. C’est un honneur et un privilège de partager cette soirée avec elles et les incroyables hommes et femmes qui ont été une source d’inspiration, qui m’ont permis de me remettre en question et qui m’ont accompagnés dans ce voyage. Merci beaucoup également à la Hollywood foreign Press Association. Parce qu’on sait tous que la presse est menacée en ce moment, mais également que c’est le dévouement insatiable des journalistes à la recherche de la vérité absolue, qui nous empêche de détourner le regard face à la corruption l’injustice, les tyrans, les victimes, les secrets et les mensonges. Je valorise la presse plus que jamais auparavant, alors qu’on navigue dans cette époque trouble. Ce qui m’amène à vous dire ceci : je suis certaine que de dire sa propre vérité est l’outil le plus puissant que l’on possède. J’ai été particulièrement fière et inspirée par toutes les femmes qui se sont senties assez fortes pour parler et partager leurs histoires personnelles. Chacune d’entre nous dans cette salle est célébrée grâce aux histoires qu’elle raconte. Cette année, nous sommes devenues le sujet de l’histoire. Mais ce n’est pas une histoire qui touche seulement l’industrie du divertissement, elle transcende les cultures, les pays, la couleur de peau, la religion et la politique. J’aimerais exprimer ma gratitude envers toutes les femmes qui ont subi des années de mauvais traitements et d’agressions. Parce qu’elles, comme ma mère, avaient des enfants à nourrir, des factures à payer et des rêves à poursuivre. Ce sont des femmes dont on ne connaîtra jamais le nom. Ce sont des employées de maison, des fermières, des femmes qui travaillent dans des usines, des restaurants, dans l’industrie, la médecine, la science, le monde de la technologie, de la politique, du business, des athlètes des JO, des soldates dans l’armée. Et il y a quelqu’un d’autre : Recy Taylor. Un nom que je connais et que je crois vous devriez également connaître. En 1944, elle était une jeune femme mariée et une mère. Elle rentrait juste chez elle après la messe quand elle a été enlevée par six hommes blancs armés, qui l’ont violée et laissée les yeux bandés sur le bord de la route. Ils ont menacé de la tuer si elle parlait. Mais son histoire a été racontée par la presse grâce à une jeune travailleuse qui s’appelait Rosa Parks, qui a enquêté sur son histoire. Et ensemble elle se sont battues pour la justice. Mais la justice n’était pas une possibilité à l’époque des lois Jim Crow. Les hommes qui ont tenté de la détruire n’ont jamais été poursuivis. Remy Taylor est morte il y a dix jours, pas loin de son 98e anniversaire. Elle a vécu, comme on a toutes vécues bien trop d’années, dans une culture détruite par des hommes puissants et brutaux. Pendant trop longtemps, les femmes n’ont pas été entendues ou crues si elles osaient dire la vérité face à ces hommes puissants. Mais c’en est fini. Time is up. Et j’espère simplement que Recy Taylor est morte en sachant que sa vérité, à l’instar de celles de beaucoup d’autres femmes tourmentées pendant ces années, nous continuons à la raconter. Cette histoire était quelque part dans le coeur de Rosa Parks quand près de onze ans plus tard, elle a fait le choix de rester assise dans ce bus à Montgomery. Et cet esprit est ici, avec chaque femme qui choisit de dire « me too » (NDLR : moi aussi), et chaque homme qui choisit d’écouter. Durant ma carrière, à la télévision ou au cinéma, j’ai fait de mon mieux pour raconter comment les hommes et les femmes se comportent au quotidien. Comment nous vivons cette honte, comment nous vivons l’amour, nos instants de colère, comment nous persévérons et comment nous surmontons toutes ces difficultés. J’ai interviewé des gens qui ont vécu les pires choses de la vie. Mais la qualité qu’ils partagent, c’est leur capacité à garder l’espoir et à croire en des lendemains meilleurs. Je veux dire à toutes les filles qui me regardent en ce moment qu’une aube nouvelle se profile à l’horizon. Et quand ce jour nouveau arrivera, ce sera grâce aux magnifiques femmes, dont beaucoup sont dans cette salle ce soir, et aux hommes incroyables qui se battent pour qu’elles deviennent les dirigeantes de demain, à une époque où plus personne n’aura besoin de dire ‘moi aussi’. »