Martin Scorsese a failli réaliser le film
Vandeville Eric/ABACA

Aujourd'hui, ''un film de David Lean équivaut à une vidéo de chat ou une publicité du Super Bowl'', déplore le cinéaste.

On le sait, Martin Scorsese est inquiet pour l'avenir du cinéma. Avant même l'épidémie de Covid-19, le réalisateur des Affranchis et de Casino tirait la sonnette d'alarme concernant la mort annoncée de la pellicule ou l'omniprésence des blockbusters de super-héros, dénonçant notamment les films des studios Marvel pensés comme des ''attractions'' et non des oeuvres cinématographiques.

Martin Scorsese détaille sa pensée sur les films Marvel : "il n'y a plus de place pour le risque"

Rédigeant un essai sur le réalisateur Federico Fellini pour le Harper's Magazine, intitulé "Il Maestro" et à lire ici en anglais, il est revenu sur la définition du terme "cinéma", qui est selon lui aujourd'hui fondue dans celui de ''contenu''. Un mot principalement utilisé par les gérants de plateformes de streaming, mais pas seulement, Martin Scorsese regrettant aussi le manque de soutien des producteurs issus de studios traditionnels au septième art. S'il est bien conscient d'avoir lui-même bénéficié du soutien de plateformes, notamment de Netflix pour The Irishman et d'Apple pour son prochain film, Killers of the Flower Moon, il critique ici le changement de vision du business tout entier où "le cinéma est systématiquement dévalorisé, mis à l’écart, rabaissé et réduit à son plus petit dénominateur commun : le contenu."

''Il y a 15 ans, ce qui est très récent, le terme 'contenu' n'était utilisé que par des personnes qui parlaient de cinéma de façon sérieuse, en contradiction avec la 'forme'. Puis c'est peu à peu devenu un mot commun au sein des compagnies de médias, repris par des gens qui ne connaissaient rien de l'histoire de l'art ou qui ne s'y intéressaient pas. C'est devenu un terme de business désignant aussi bien un film de David Lean qu'une vidéo de chat, une publicité du Super Bowl, une suite de super-production ou un épisode de série. C'était lié, bien sûr, non pas à l'expérience du cinéma dans une salle obscure, mais à la maison, sur des plateformes de streaming (…) Le fait de présenter toutes sortes de films comme du contenu a créé cette situation où tout est présenté au même niveau au spectateur. Cela crée l'illusion d'un choix démocratique, mais ce n'est pas le cas. Car ce contenu est suggéré par des algorithmes qui se basent sur ce que vous avez déjà vu. Donc, il est proposé en fonction du sujet du film ou de son genre, mais qu'est-ce que cela a à voir avec l'art du cinéma ? La curation (la sélection et le partage/la mise en avant de contenu) n'est pas 'non-démocratique', ni 'élitiste', un terme qui est si souvent utilisé de nos jours qu'il en perd son sens. C'est un acte de générosité ! Vous partagez ce que vous aimez, ce qui vous inspire. D'ailleurs, les meilleures plateformes de streaming, comme Criterion Channel ou MUBI, ou les chaînes traditionnelles telles que TCM, font de la véritable curation. Les algorithmes, par définition, sont basés sur des calculs, qui traient le spectateur comme un consommateur et rien d'autre."

Martin Scorsese a peur que le cinéma soit "relégué au second plan et dévalorisé"

Martin Scorsese écrit ensuite vouloir défendre ''le cinéma et l'importance qu'il tient dans notre culture'', et que sa sauvegarde ''ne peut dépendre du business du film, qui est devenu un business du divertissement visuel de masse. Ce qui a toujours compté dans le mot 'business', c'est l'argent qui peut être tiré d'un produit – dans ce sens, tout ce qui va de Sunrise à La Strada en passant par 2001 a déjà été essoré et finit dans la catégorie 'films classiques' sur une plateforme de streaming. Ceux parmi nous qui connaissent l'histoire du cinéma et qui l'aiment se doivent de partager leurs connaissances au plus de gens possible. Nous devons aussi faire comprendre à ceux qui détiennent les droits de ces films qu'ils représentent bien plus qu'un produit qui peut être exploité puis balancé. Ce sont les plus grands trésors de notre culture et ils doivent être traités ainsi. Je pense qu'on devrait redéfinir notre notion de ce qu'est le cinéma. Et de ce qu'il n'est pas. Federico Fellini est un bon moyen de démarrer cette réflexion. Vous pouvez dire des tas de choses sur ses films, mais il y en a une qui incontestable : ce sont des œuvres de cinéma. Son travail de longue haleine a consisté à définir cette forme d'art.''

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