Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
ALITA : BATTLE ANGEL ★★★★☆
De Robert Rodriguez
L'essentiel
Robert Rodriguez et James Cameron signent un vrai film de science-fiction, excitant et généreux, qui tranche avec les blockbusters actuels.
Dans une décharge du futur, une cyborg quasiment détruite est ressuscitée par un chirurgien. Amnésique, elle va partir en quête de ses souvenirs... Autant mettre les choses au clair tout de suite : Alita, incarnée en performance capture par Rosa Salazar, est l'une des plus belles créations de cinéma de l'année, vivante, émouvante et incroyable. James Cameron, qui mûrit l'adaptation du manga Gunnm depuis vingt ans, peut être fier de sa production Alita : Battle Angel et il serait sans doute trop facile d'attribuer toute la réussite du film au réalisateur de Terminator. Il a évidemment imposé son exigence technique et narrative au film (Robert Rodriguez l'admet lui-même dans le dernier numéro de Première : "Sans exagérer, mon travail a été de tourner un film à la Cameron") : si la performance capture d'Alita est absolument bluffante, il y a aussi une maîtrise de l'écriture typiquement cameronienne.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A ADORÉ
VICE ★★★★☆
De Adam McKay
Recevant un Golden Globe pour son interprétation de Dick Cheney dans le nouveau film d’Adam McKay, Christian Bale a remercié Satan de l’avoir « inspiré pour préparer ce rôle » ! Il s’est même demandé si, après avoir incarné celui qui fut le vice-président des États-Unis de l’administration de George W. Bush, il ne pourrait pas s’attaquer à Mitch McConnell, l’actuel chef de la majorité au Sénat américain, « autre méchant sans charisme », précise-t-il. Dans un coin de la salle, Adam McKay, hilare, savoure la prose de son interprète qui vient de résumer en une saillie le caractère grinçant, satirique, ironique, outrancier et furieusement actuel de ce biopic sur l’une des têtes pensantes de l’administration Bush, celle qui s’est entre autres servi des attentats du 11 Septembre, pour (re)donner à l’Amérique son visage guerrier.
Thomas Baurez
THE RAFT ★★★★☆
De Marcus Lindeen
Pouvons-nous faire sans la guerre ? C'est la question fondamentale que se posait Santiago Genoves en embarquant sur son radeau en 1973. Anthropologue spécialiste des comportements violents, cet universitaire avait choisi de regrouper 11 personnes, dont lui-même, sur une embarcation spartiate dans le but traverser l'Atlantique. Le vrai objectif de l'expédition était de découvrir l'origine de la violence et de l'attraction entre les individus, choisis pour leur diversité culturelle, religieuse et sexuelle. Le documentaire de Marcus Lindeen revient sur cette expérience démentielle en donnant la parole aux membres de l'équipage encore vivants, 45 ans après. Invités sur une reproduction exacte du raft originel, les 6 compagnons de fortune racontent ces 101 jours de survie au milieu de l'océan. Ils se remémorent, parfois de façon déchirante, les détails de cette aventure surréaliste et le basculement de Santiago en figure tyrannique. Mécontent des premiers résultats de son laboratoire à ciel ouvert, le scientifique avait peu à peu glissé vers une attitude dédaigneuse et autoritariste. Une situation insupportable pour le reste de l'équipage, qui avait amené certains d'entre eux à penser à la mutinerie, voire au meurtre. Les témoignages actuels sont appuyés par de nombreuses vidéos d'époque tournées sur le radeau. Ces vignettes éloquentes sur les liens qui unissaient (et unissent encore) les passagers de l'Acali, ne donnent pas une réponse définitive aux interrogations de Santiago mais proposent une plongée édifiante dans les coulisses de cette folle épopée.
Jean-Baptiste Tournié
PREMIÈRE A AIMÉ
RALPH 2.0 ★★★☆☆
De Rich Moore et Phil Johnston
Ralph la casse, sorti de son jeu vidéo vintage pour aider son amie Vanellope, la reine du bolide, a sauvé sa borne d’arcade. Les visiteurs affluent mais un volant casse. Malheureusement, on ne peut trouver cette pièce, qui permettra à la princesse des slaloms de rester active, que sur eBay. Passée cette introduction un peu poussive, dès que le duo s’embarque dans l’univers d’internet, les clins d’œil s’enchaînent joyeusement !
Sophie Benamon
DEUX FILS ★★★☆☆
De Félix Moati
Dans ses meilleures performances en tant qu’acteur (À trois on y va, Gaspard va au mariage, Simon et Théodore), Félix Moati a souvent tendance à bomber le torse et froncer le sourcil, comme pour mieux mettre en avant son intensité, sa maturité et contrebalancer ainsi sa dégaine de glandeur sympa. Son premier long métrage de réalisateur cherche lui aussi d’emblée à donner au spectateur des gages de sérieux. Dès le premier plan, dans un clair-obscur superbement ouvragé (signé Yves Angelo), sur une belle partition jazz du groupe Limousine, on voit un fils (l’ado Mathieu Capella) conduire son père (Benoît Poelvoorde) au tombeau -en réalité, choisir un cercueil pour l’enterrement de son oncle. Deux Filsraconte une double coming of age story : celle de deux frangins en pleine crise (mystique, amoureuse, existentielle), qui observent leur paternel, un médecin bien sous tous rapports, tout plaquer du jour au lendemain pour mener la vie de bohème. Lui retombe en enfance, abandonnant ses responsabilités, tandis qu’eux doivent apprendre à devenir des hommes. La trame est très classique, mais embellie par le sentiment mélancolique infusé par Moati, un blues urbain vibrant qui convoque les spectres de Truffaut, de Cassavetes et d’Allen des 80s. Méticuleusement écrit, construit sur un réseau très précis de rimes thématiques et visuelles (ces couloirs d’appartements haussmanniens aussi étouffants que le cercueil de la première scène), Deux Filsémeut mais souffrirait presque d’être trop grave, trop « pensé ». La légèreté, ce sera pour la prochaine fois.
Frédéric Foubert
LES DRAPEAUX DE PAPIER ★★★☆☆
De Nathan Ambrosioni
Il aura donc fallu seulement attendre février pour découvrir la première grande révélation française de cette année ciné 2019. Nathan Ambrosioni qui, du haut de ses 19 ans, nous offre ce premier long dont il assure et assume tout à la fois le scénario, la réalisation et le montage avec un refus de l’épate... assez épatant. Son récit débute par un retour. Celui de Vincent (Guillaume Gouix, impressionnant) chez sa sœur cadette, Charlie (Noémie Merlant, saisissante), qu’il n’a pas vue depuis douze ans. Le temps d’une longue peine passée derrière les barreaux. Forcément, elle peine à le reconnaître tant elle le connaît peu. Alors que lui, c’est le monde extérieur qu’il ne comprend plus. Et dès son entrée dans cette maison où Charlie vit chichement de son salaire de caissière, surgit une tension qui ne quittera plus jamais l’écran. Car Victor est une grenade dégoupillée, doté d’une capacité D’autodestruction infinie. Les Drapeaux de papierraconte son impossible reconstruction – en mode montagnes russes émotionnelles – seul avec sa petite sœur contre le reste du monde, puisque leur mère est morte et que leur père ne veut plus le voir. Dommage d’ailleurs que Nathan Ambrosioni ne soit pas allé au bout de cette logique et qu’il soit resté uniquement concentré sur ce frère et cette sœur qu’il filme si bien, au plus près des corps, au point de voir chaque battement de cœur qui s’accélère. La scène des retrouvailles avec le père est d’ailleurs la seule à sonner faux. La seule où le récit explicite ce qu’il avait parfaitement suggéré. Tant mieux : ça laisse une belle marge de progression.
Thierry Chèze
DANS LA TERRIBLE JUNGLE ★★★☆☆
De Ombline Ley et Caroline Capelle
Pour leur premier long métrage, Ombline Ley et Caroline Capelle ont posé leur caméra dans un institut médico-éducatif du Nord pour y suivre des adolescents pensionnaires. Pas dans l’idée d’un film à thèse-antithèse-synthèse à la première personne du pluriel, mais en laissant au contraire les commandes à celles et ceux qu’ils filment et qui en donnent le la, au propre comme au figuré (la musique tient une place essentielle dans leur quotidien). Mêlant subtilement documentaire et fiction, Dans la terrible jungle se vit comme un teen movie musical où ces ados expriment leurs espoirs et leurs doutes sur leur avenir professionnel et amoureux. Cette peur de se retrouver seul ou dépendant. Porté par une énergie joyeuse, le film n’élude donc jamais une réalité violente. Mais sa poésie pudique le maintient en permanence sur ce fil ô combien ténu.
Thierry Chèze
LE SILENCE DES AUTRES ★★★☆☆
De Almudena Carracedo & Robert Bahar
Doit-on tout oublier -surtout le pire- au nom de la réconciliation nationale ? Ce dilemme, l’Espagne l’a réglé de façon drastique en votant, deux ans après la mort de Franco, une loi d’amnistie interdisant tout jugement des crimes commis sous cette dictature. Une nouvelle plongée en enfer pour les victimes de ce quotidien d’exécutions sommaires et de torture. Produit par Almodóvar, ce documentaire raconte le combat de certains d’entre eux, forcés de saisir la justice depuis l’Argentine pour briser ce pacte de l’oubli. Pédagogique mais jamais scolaire, il se vit comme un véritable suspense, au rythme de la course contre la montre entreprise par des victimes qui veulent voir leurs bourreaux derrière les barreaux avant de mourir. Une oeuvre d’utilité publique et universelle.
Thierry Chèze
LONG WAY HOME ★★★☆☆
De Jordana Spiro
Ce premier long métrage n’a pas volé ces honneurs tant Jordana Spiro parvient à livrer un récit rempli d’émotions fortes et contradictoires, en plaçant sous le feu des projecteurs des personnages peu présents sur les écrans du cinéma américain, sans pourtant céder à la facilité du film à thèse cochant toutes les cases du « socialement correct ». On y suit une ado de 18 ans sortant de prison où elle a été incarcérée pour détention d’armes. Mais ce retour à la liberté n’a rien d’un long fleuve tranquille car elle reste hantée par un passé violent. Dès lors, quelle voie prendre ? Rédemption ou vengeance ? Son choix de se mettre en route vers la maison de son père, meurtrier de sa mère, semble ne laisser planer aucun doute. Mais un détour pour récupérer sa petite sœur placée dans un foyer va changer la donne de ce voyage et donner le ton de ce film. À la fois rude et charmant, inscrit dans une réalité sociétale tragique mais cherchant toujours la lumière au bout de l’horizon. À l’image précisément du contraste entre cette jeune fille de 18 ans déjà trop consciente de la dureté de la vie et sa cadette baignant dans une insouciance capable de lui faire renverser toutes les montagnes. Alors, certes, Long Way Homen’évite pas certains clichés (que seraient ces récits initiatiques au féminin sans un passage dans un bain amniotique, symbole de renaissance ?), mais il est dominé par une tension permanente qui empêche le récit de basculer dans la mièvrerie pour aboutir à un beau film sur l’amour sororal.
Thierry Chèze
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
ALL INCLUSIVE ☆☆☆☆☆
De Fabien Onteniente
On résume le début de l’intrigue spoiler-free : Bruno doit partir en vacances avec sa fiancée (Maïwenn passée cachetonner discrètement) mais celle-ci se rend compte à l’aéroport que son passeport est périmé et largue sa moitié. "Sale pute", lâche Balasko en touriste spectatrice, plantant là son personnage de mégère vulgaire avide de rencontres. Très vite, Bruno est collé par un type étrange en parka, Jean-Paul Cisse (oui, c’est un jeu de mots sur le pape), qu’on incruste de force dans son bungalow nuptial. Le principe du duo mal assorti, ressort éternel de la comédie, est posé. Un soupçon d’Emmerdeur, un poil de Chèvre et même quelques piquets de Camping ne font rien à l’affaire. La mayonnaise ne prend pas. Le type envahissant qui pourrit la vie du type normal, on l’a déjà vu mille fois. Mille fois aussi, Franck Dubosc (ah oui, on a oublié de vous dire, Jean-Paul Cisse) s’est flagellé (oui, nous aussi on fait des métaphores chrétiennes) en séducteur loser. Il est co-auteur du scénario, ne l’oublions pas. Cette fois-ci, il se met vraiment à poil. Au sens propre. Il y avait le slip de Patrick Chirac dans Camping, il y a le no slip de Jean-Paul Cisse dans All Inclusive.
Sophie Benamon
MOI, MAMAN, MA MÈRE ET MOI ★☆☆☆☆
De Christophe Le Masne
« On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère », écrivait Romain Gary dans La Promesse de l’aube. La relation mère-fils est certainement le terreau le plus riche du cinéma mondial. Pour son premier film, Christophe Le Masne a décidé d’apporter sa pierre à l’édifice. Il tisse joliment mais maladroitement l’histoire d’un secret qu’une mère a confié à son fils et qu’elle essaie de lui faire avouer de l’au-delà à l’occasion de la mise en vente de la maison familiale. Grégory Montel compose un personnage de jeune homme gauche, proche de celui de Dix pour cent, et fait front à une sympathique fratrie composée de l’énergique Philippe Rebbot (L’Amour flou), de la discrète Olivia Côte (Pupille) et de la surprenante Lolita Chammah. Cependant, le scénario ne se départ jamais d’un air de déjà-vu et nous laisse sur notre faim.
Sophie Benamon
COMME UN SEUL HOMME ★☆☆☆☆
De Éric Bellion
Il en est donc des plus grands exploits sportifs comme des meilleures intentions : ni les uns ni les autres ne suffisent pas à faire de grands films. Eric Bellion en apporte une nouvelle preuve à son corps défendant. Pour ce documentaire, il a décidé de se filmer pour sa toute première participation au Vendée Globe, le célèbre tour du monde à la voile en solitaire, sans assistance et sans escale. Tout au long de ces 99 jours épiques, on suit donc de l’intérieur face caméra ses émerveillements, ses doutes, ses rages, ses peines… Les férus de voile y trouveront peut-être leur compte. Mais, pour les autres, une fois passées les premières minutes, on a le sentiment de se retrouver devant une boucle infernale qui n’en finit pas de finir. Parce que manque, de fait, un point de vue extérieur pour resituer cet exploit au- delà du ressenti de celui qui le vit dans sa chair. Voilà pourquoi ces 82 minutes prennent si souvent l’apparence d’une traversée interminable.
Thierry Chèze
L’ILLUSION VERTE ★☆☆☆☆
De Werner Boote
Et si on arrêtait de culpabiliser le consommateur et de le rendre responsable de la transition écologique ? C’est à la recherche des gros pollueurs que se lancent Werner Boote et sa complice Kathrin Hartmann en dénonçant particulièrement ceux qui ont une image verte. Ainsi, le duo parcourt-il le monde pour exposer tel poids lourd de l’industrie agro-alimentaire qui brûle des forêts ou tel autre qui ne respecte pas ses engagements. On nous ment. Le réalisateur dénonce aussi les lobbies. Même les voitures dites écologiques se révèlent plus nocives que les autres en termes de désastre sur l’environnement. Si les intentions de ce documentaire sont louables, le résultat est plutôt brouillon. Dans son enquête de globe-trotter dont les transitions sont supposées nous faire rire, Werner Boote vient ajouter son cri d’alarme à ceux que nous avons déjà entendus, sans exposer de faits nouveaux. On en retiendra quand même l’entretien passionnant avec Noam Chomsky.
Sophie Benamon
UN ANGE ★☆☆☆☆
De Koen Mortier
Ce film est inspiré d’une histoire aussi vraie que tragique. Celle du coureur cycliste belge Franck Vandenbroucke, vu comme l’un des possibles successeurs du mythique Eddy Merckx avant qu’il ne bascule dans le dopage et la drogue et soit retrouvé mort à 34 ans dans la chambre d’une prostituée au Sénégal. Ce destin brisé a inspiré un roman que Koen Mortier (Soudain, le 22 mai) porte à l’écran avec un côté sage et scolaire en total décalage avec le parcours explosif de ce sportif brisé par ses addictions. À commencer par son histoire d’amour avec cette prostituée qui succombe à tous les archétypes. Et ce alors que le regard du réalisateur sur l’Afrique reste éloigné, lui, de toute caricature, avec des images en 35 mm magnifiées par le travail sur la lumière de Nicolas Karakatsanis, le chef opérateur de Bullhead. Un écrin étincelant pour un contenu banal.
Thierry Chèze
Et aussi
Happy Birthdead 2 you de Christopher Landon
Regarde ailleursd’Arthur Levivier
Reprises
Les recrues de Bernardo Bertolucci
Tommy de Ken Russell
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