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Dans Le suicide français, son brûlot best-seller, Eric Zemmour témoigne d’une cinéphilie incontestable qu’il s’emploie à instrumentaliser pour étayer son discours sur la « dévirilisation » de la société française, à l’origine du déclin de cette dernière. Il prend notamment pour exemple Vincent, François, Paul… et les autres de Claude Sautet qui, plus que tout autre, incarnerait « le mâle blanc hétérosexuel à son crépuscule », confronté à la fin des Trente Glorieuses (le film est sorti en 1974) et, surtout, à l’émancipation de la femme. On ne fera pas ici de procès en misogynie (d’autres s’en sont chargés et ce n’est pas notre propos) mais, force est de constater, que le polémiste a faux sur toute la ligne ; il prend au premier degré le cinéma de Sautet qu’il réduit à des films d’hommes dans lesquels les femmes, lointaines, apprêtées et sûres d’elles en apparence, seraient par essence castratrices et participeraient de la vaste entreprise en démolition du mâle alpha amorcée dans la foulée de mai 68. Soit.De quoi parle Vincent, François, Paul… et les autres ? Principalement d’hommes, en effet, atteints par le retour d’âge, déphasés, qui ne comprennent plus leur époque. Douloureusement fragiles. Féminins ? Et alors ? Dans son analyse spécieuse du film, Zemmour dresse un constat accablant (les hommes seraient les vaincus de la modernité et des avancées sociales) qui occulte délibérément le propos de Sautet sur la parité des sexes vécue non pas comme une défaite, mais comme une libération. Vincent (Yves Montand) passe ainsi le film à « digérer » son divorce dont l’acceptation le rend plus fort –la scène de réconciliation avec Stéphane Audran, où l’espoir d’un possible retour de flamme fait place à l’apaisement, est à cet égard magnifique. Vincent n’est pas « dévirilisé » mais « différent », enfin lui même et non plus celui que la société voulait qu’il soit. Comme le personnage incarné (encore) par Montand dans César et Rosalie, qui approuvait tacitement le principe d’un ménage à trois par amour pour Elle et par amitié pour l’Autre, le mâle selon Sautet est un animal à sang chaud gouverné par ses passions, à l’opposé de l’inamovible garant des valeurs et de l’ordre regretté par Zemmour. En bref, pour le réalisateur des Choses de la vie, l’homme est une femme comme les autres. C’est mal docteur ?Toujours selon le polémiste, qui n’y va pas avec le dos de la formule choc, « la fameuse « libération de la femme » des années 1960 a dénoué les liens entre les couples ; les hommes ne « tiennent » plus, ne possèdent plus leurs femmes ; celles-ci, à l’instar de l’ancienne épouse de Vincent, les trompent avec n’importe quoi, les quittent pour n’importe qui. (…) Les femmes de Sautet ont la beauté sensuelle de l’ancienne soumission, et la férocité troublante d’une émancipation dont elles ne savent que faire. » On se pince. Mais où va-t-il chercher tout ça ? Attribuer à Sautet, cinéaste de l’inexprimable, maître de la litote, des intentions aussi tranchées est un contresens pur. Jamais celui-ci ne regarde ses personnages de haut, et encore moins les femmes, qu’il présente, avec la prudence d’un homme issu du modèle ancien, comme des énigmes difficiles à déchiffrer qui exercent un réel pouvoir de fascination sur le sexe opposé. En cherchant en permanence à se montrer à la hauteur (le sursaut d’humanité du protagoniste à la fin de Max et les Ferrailleurs en est le plus bel exemple), les hommes se grandissent aux yeux d’un monde, certes finissant, mais moins infantilisant, plus ouvert et complexe. Adulte, en somme.Christophe Narbonne (@chris_narbonne) Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Vincent, François, Paul… et les autres ressortent en salles le 24 décembre.