DR

Pour son passage à la réalisation, la scénariste Camille Fontaine n’a pas choisi la facilité puisqu’elle convoque deux genres qui ne vont habituellement pas de paire dans le cinéma français : le social et le thriller. L’histoire de Par Accident ? Amra (Hafsia Herzi), une jeune algérienne installée en France avec sa famille renverse accidentellement un piéton qui tombe dans le coma. Ravagée par la culpabilité et la certitude qu’elle n’obtiendra jamais ses papiers français, la jeune fille est miraculeusement innocentée par une mystérieuse rousse dénommée Angélique (Emilie Dequenne) avec qui elle va devenir très amie. Le film va prendre une toute autre tournure alors que le comportement d’Angélique devient de plus en plus étrange, voire inquiétant. Rencontre avec la réalisatrice. Beaucoup de scénaristes passent à la réalisation. Vous y pensiez depuis longtemps ? Camille Fontaine : Pas du tout. Être scénariste, c’est exercer un métier obsessionnel et solitaire, j’étais très heureuse comme ça. Ça me paraissait dingue d’être payée à écrire des histoires pour le cinéma. Cela dit, je crois que j’ai toujours voulu réaliser mais que je ne me l’avouais pas. Je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai pas fait plutôt. Je devais avoir la trouille.À l’origine, vous vouliez confier le scénario de Par Accident à un autre réalisateur. Puis vous avez déclaré qu’il vous était "impossible de ne pas mener cette histoire jusqu’au bout". C’est ce qu’on ressent quand on écrit pour les autres ? En fait, c’est surtout ce qui est super dans ce métier : on le fait pour les autres. Parfois on est surpris face au résultat du réalisateur, comme d’autres fois on estime qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire avec le scénario. Les scénarios que j’ai écrits jusqu’ici étaient avant tout des commandes, l’idée du sujet n’était pas la mienne, contrairement à celle de Par Accident.Comment est née cette histoire ?Il y a plusieurs années, je suis tombée sur un appel à témoignage en marchant dans la rue. Je ne sais pas si vous voyez ce que c’est mais ça ne ressemble en rien à quelque chose de formel. On dirait plutôt une blague : c’est un simple bout de papier scotché sur un mur où l’on vous dit de contacter le commissariat si vous avez été témoin d’un accident à tel endroit et à telle date. J’avais imaginé quelqu’un tomber dessus et livrer un faux témoignage. J’ai noté ça dans un cahier. Dix ans plus tard, j’ai écrit quatre cinq pages à partir de cette idée que je n’ai jamais oubliée, et la machine était lancée. J’avais envie d’écrire un thriller, un film de genre.Justement, les genres, vous les mélangez : à lire le synopsis de Par Accident on pourrait s’attendre à une comédie dramatique à portée sociale. Pourtant le film se mue rapidement en une sorte de buddy-movie inquiétant avant de se transformer en véritable thriller…C’était toute l’ambition du projet. Comme le scénario était pour moi, j’avais envie de m’éclater, de me surprendre en l’écrivant. Mélanger les genres est un défi difficile auquel je voulais me soumettre. Je cherchais à ce que le spectateur ne s’attende jamais à ce qui allait se passer. Bizarrement, ça me paraissait plus simple d’installer un thriller sur la base d’un film social. Je me suis beaucoup interrogée mais j’ai tendance à penser que si l’on rentre dans un film de genre à travers une réalité connue de tous, on va plus facilement accepter l’univers du film et croire à ses rebondissements. Le personnage d’Angélique joué par Emilie Dequenne met mal à l’aise : elle est totalement décomplexé et très rentre-dedans.À plusieurs reprises, on est gêné pour elle et pour son franc-parler, lorsqu’elle dit à Amra que sa maison est un taudis par exemple. (Rires) On a beaucoup travaillé sur sa personnalité avec Emilie car il fallait qu’Angélique soit une fille extrêmement sympathique, solaire et marrante afin de comprendre pourquoi Amra, qui est très introvertie et très sauvage, se lie d’amitié avec elle. Et en même temps, il fallait qu’elle fasse peur. Ça a été un personnage très difficile à construire, sur le papier d’abord mais encore plus pendant le tournage. Il fallait systématiquement rééquilibrer son caractère en fonction des rushs de la veille. Vous pensiez à une actrice en particulier en écrivant ce rôle ?  Non, mais aujourd’hui je ne vois pas comment j’aurais pu faire jouer d’autres actrices que Hafsia Herzi et Emilie Dequenne, d’autant plus que l’alchimie entre elles est incroyable. Le casting pour trouver Angélique a été long. À l’origine, je cherchais une actrice de 22 ans mais c’était impossible qu’une fille trop jeune puisse rendre son personnage d’infirmière crédible. Mon agent m’a suggéré Emilie. Sur le coup je me suis dit "Mais non, elle n’a pas l’âge du rôle". Au final je l’ai rappelée pour lui envoyer le scénario. Et elle l’a aimé.  La mise en scène de Par Accident, brute et réaliste, tranche avec celle des longs métrages que vous avez scénarisés auparavant, comme le très stylisé Coco Avant Chanel par exemple. Un parti-pris ?Oui, tout le processus était habité par le mélange des genres. Avec ma chef opératrice (ndlr : Elin Kirschfink) on a voulu rentrer dans l’histoire en suivant les personnages au plus près, caméra à l’épaule, avant que le film ne soit plus découpé en évoluant. Parce que, bon, le suspense en plan-séquence, ça marche moins bien ! (Rires) On a voulu passer d’un angle documentaire à un point de vue de fiction. Quelle est la morale du film, s’il y en a une ?(Rires) Je déteste les morales mais je comprends la question ! Ne pas se fier aux apparences, ne pas juger les gens trop vite, leur faire confiance. On condamne systématiquement ceux qui sortent un peu de la norme, parce qu’ils ont une personnalité excentrique comme Angélique ou bien parce qu’ils ne sont pas totalement dans la légalité, comme Amra qui attend ses papiers. Rien de bien ne peut découler d’une société qui vit constamment dans la peur et la paranoïa, comme la nôtre. Propos recueillis par Julia Beyer-AgostiniPar Accident de Camille Fontaine avec Hafsia HerziEmilie DequenneMounir Margoum sort en salle le 14 octobre. Bande-annonce :