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Vingt ans qu’elle attendait ce rôle. Vingt ans passés dans la peau de Rachel Green, personnage phare d’une série culte qui n’existe plus depuis onze ans mais dont l’actrice n’a jamais su se départir. Il y a quelques mois, Jennifer Aniston parlait de "malédiction" Friends dans les pages d’Empire, "Ça ouvre toutes les portes et en même temps, ça nous met la pression parce qu'il faut arriver à casser l'image que les gens ont de nous. Matthew Perry est Chandler et Jennifer est Rachel Green. Les gens n'arrivent pas à concevoir que l'on puisse jouer d'autres rôles."Humour vache Et ce n’est effectivement pas avec sa filmo qu’elle avait réussi à faire oublier Rachel. Mais après vingt ans d’attente, ça y était, elle l’avait trouvé son grand rôle, celui qui allait briser la "malédiction" de la star d’une sitcom trop culte pour être dépassée. Avec Cake, l’actrice allait enfin faire l’actrice, c’est-à-dire changer de peau et faire croire aux gens qu’elle pouvait être quelqu’un d’autre. Dans le film de Daniel Barnz, Jennifer Aniston est une victime de trauma, elle va mal et sa douleur se lit constamment sur son visage scarifié. Le moindre mouvement la fait souffrir le martyr et elle est accro aux antidouleurs. Murée dans ses tourments, elle s’est aliéné son mari et tout son entourage et ne trouve plus que sa femme de ménage pour la supporter. On craint un drame lourd ou boursouflé et on découvre, dès la première séquence particulièrement cruelle, une comédie dramatique grinçante et morbide que l’actrice fait tenir sur un fil : elle sublime le mal qui la torture en le traitant avec mépris et parvient à insuffler à ce rôle ce qu’elle maîtrise le mieux : la comédie. Insultante, agressive, fascinée par l’idée de suicide et maniant l’ironie comme quelqu’un qui est revenu de tout, elle fait de ce personnage fondamentalement sombre une virtuose de l’humour vache et joue impeccablement sa double partition tragicomique. >>> Jennifer Aniston décroche son passeport pour les OscarsJulianne 3 – Jennifer 0Accessoirement, Jennifer Aniston s’est "enlaidie" pour ce rôle. Comprenez qu’elle n’est pas avantageusement maquillée, qu’elle cache derrière ses cheveux gras et filasses de petites cicatrices et dans des fringues informes son corps sculptural. Démarche qu’aucune star n’a entreprise sans espérer être primée pour cette atteinte à son image. Quand Cake a été présenté à Toronto, ça s’annonçait bien : la critique, moyennement enthousiasmée par le film, l’était en revanche par sa prestation et on se tournait déjà vers l’Académie. Mais la saison des prix s’est transformée en chemin de croix tandis que la toute petite sortie du film limitait son exposition publique : nommée aux Golden Globes et aux Screen Actors Guild Awards, Aniston a perdu coup sur coup contre Julianne Moore, grande actrice au talent unanimement reconnu qui, dans la peau d’une intellectuelle atteinte d’un Alzheimer précoce dans Still Alice, ne pouvait pas être une plus redoutable concurrente. Contrairement à l’ancienne star de Friends, Julianne Moore pouvait se prévaloir d’une filmo sérieuse et faire passer son absence d’Oscar pour une certaine forme d’injustice. A l’arrivée, Julianne Moore a décroché la statuette pour un de ses moins bons films et Jennifer Aniston n’a pas été nommée pour ce petit drame indé amer, juste et surprenant.Et après ? Dans la foulée de Cake, on la découvre en psy plus névrosée que ses patients dans Broadway Therapy, comédie dramatique chorale de Peter Bogdanovich. Où elle retrouve le sens inné du timing qui faisait les grandes heures de Friends et prouve encore une fois qu’elle est la reine de la comédie. Ce qui a rarement suffi à être sacré par l’Académie. Vanina Arrighi de CasanovaCake de Daniel Barnz avec Jennifer Aniston, Adriana Barraza, Anna Kendrick, Sam Worthington est dans les salles :